Analyse littéraire
Nos rédacteurs chevronnés décortiquent, décomposent, passent les ouvrages littéraires francophones au peigne fin pour observer le sens, la structure et la portée d’une parution récente ou vous font redécouvrir un grand classique.
Honneur à Michel Lord, Sortie 182 pour Trois-Rivières, Montréal, La Grenouillère, 2020.
À partir d’un style qui lui est propre, Michel Lord partage son expérience de vie et de la vie, à partir des courts récits mettant en exergue les diverses facettes de sa vie. Ces récits sont d’un éclectisme remarquable. Ils sont portés par une belle dose d’humour : enfance et adolescence au Cap-de-la-Madeleine, université Laval, Université de Toronto.
En lisant Le livre de ma mère d’Albert Cohen, j’ai pensé à la mienne. Non pas que sa mère avait beaucoup en commun avec la mienne, mais un peu tout de même : même origine modeste, même générosité dans l’amour pour son fils, même fragilité.
Cet extrait qui est un hommage de l’auteur à sa mère retrace non seulement l’histoire d’une enfance. plutôt d’une vie, mais aussi la femme inspirante qu’a été sa mère.
La relation avec son père occupe aussi une place remarquable, ce père qu’il a connu plus de quarante ans après sa naissance alors qu’ils avaient partagé le même toit durant à peu près 20 ans. Ce père qui n’était pas méchant, mais qui avait instauré le silence comme mode de vie en famille, un silence qui venait certainement de la « fatigue mentale » du travail ouvrier qui l’avait habitué au bruit infernal. En famille, il voulait certainement rester tranquille Écouter le silence.
Les rencontres dans ce recueil occupent une plus grande place. Michel Lord communique son sens de l’altérité et son amour pour la littérature à partir de chaque récit, de manière accessible sans faire de compromis ni tomber dans le pathos. Il fait intervenir plusieurs auteurs comme Thomas Bernhard, François Paré, Lipovetsky, Victor Théophile, Molière, Maupassant.
De la même manière, Michel Lord porte un regard critique, mais positif sur la société Une société qui divise parfois, qui juge, qui condamne
Sortie 182, ce sont des récits, mais c’est aussi un chemin vers la résilience qu’on pourrait résumer de cette manière : malgré tout ce qui arrive, il n’est pas permis de s’arrêter ni de sombrer. Il faut avancer. Le parcours de Michel Lord l’a conduit tantôt au désespoir, tantôt à la dépression (comme la mort de son père), mais il a choisi la vie.
On savoure donc, en prolongeant le plaisir, de ce recueil de récits qui fait réfléchir, mais qui fait sourire aussi, et qui encourage. Chaque récit est une richesse, une histoire unique.
La vie est pleine de vide, c’est bien connu. Plus vide que pleine, c’est certain. Parfois, on sent que c’est le contraire, la vie se montrant pleine, comme gonflée de souvenirs inspirants, même quand ils sont lourds, douloureux. Ce qu’on laisse derrière nous, comme dans le sillage d’un navire à la dérive, a de quoi nous retenir quand on se met à se remémorer ces instants de vie qui ont fait partie de notre être le plus intime, mais qui ne sont plus retenus que par un mince filet de pêche. On se rattrape comme on peut. Et on trouve un petit poisson ou une grosse baleine. On peut faire comme si on se rendait hommage, comme si on était tout autre, un personnage qu’on aurait connu, puis remplacé dans sa chair même. Nous sommes tous l’alter ego de nous-mêmes et d’un autre qu’on peut ignorer ou dont on veut percer le mystère. Écrire sert un peu à ça non?
Entre sa vie réelle et la littérature, son métier et sa passion, Michel Lord possède le talent de nous faire naviguer entre les réalités de nos divers mondes.
Je recommande cette lecture qui est selon moi le récit d’une vie, mais aussi le récit d’une rencontre.
Merci aux éditions La Grenouillère.
Propos recueillis par Nathasha Pemba, 8 février 2021.