J’aurais pu me morfondre sur ma vie et me dire qu’en fin de compte, à Paris ou à Montréal, ma vie ne valait pas plus qu’une station de métro. Mais, parce que je suis un type avec de l’imagination, j’me suis à m’dire que ma vie, elle, n’était pas pire que celle d’un autre. J’avais un toit au-dessus de la tête, une job sans responsabilités, mais qui payait décemment. Et puis, j’avais tous ces nuages qui gravitaient autour de moi, tels des livres avec une page différente ouverte à chaque voyage. Alors, je me mis à voyager avec eux…
Ce qui se passe dans la tête d’un guichetier de station de métro, il n’y a que l’imagination qui puisse nous en dire quelque chose. L’on peut d’ailleurs, irrationnellement ou raisonnablement, penser à tout ce qui peut nous passer par la tête. Pour le narrateur, il s’agit à la fois de rendre hommage à une ville, Montréal, à une station qu’elle fréquente, Sherbrooke, mais aussi de transformer, grâce à l’imagination, le vécu existentiel de Francis, de la station Sherbrooke à Montréal, en projet littéraire. Les quatorze chapitres qui composent le roman sont axés sur le parcours hebdomadaire du personnage, sur les réalités de la ville elle-même, sur les divers types de stress, et surtout, sur l’espace personnel.
Le personnage principal, Francis, est originaire de France. Son prénom, hérité de l’amour de sa mère pour Francis Cabrel, l’accompagne tout au long de son parcours. Il arrive à Montréal pour trouver sa voie et accepte un travail qui se présente à lui, car parfois, dans la vie, l’urgence de la survie pousse à opter pour un emploi auquel on n’avait pas pensé auparavant. Pourtant, cet emploi, bien que modeste, le confronte à la réalité de la vie. Depuis son guichet, il est témoin de diverses expériences humaines qu’il tente de traduire à travers les quatorze chapitres du roman, les uns plus sombres que les autres. Pour parler de ces zones d’ombre, il évoque des nuages : nuages de la semaine, nuage de ma vie, nuage invisible.
Le nuage de ma vie, ou l’amour impossible… Francis tombe amoureux de Sayda, une Indienne, mais finit par se rendre compte que cette dernière est déjà mariée. Mais l’amour de Francis, c’est aussi l’émerveillement, le respect de la différence, le premier pas vers l’autre.
Ma mère, elle, était secrètement amoureuse de Francis Cabrel, comme sa cousine, sa voisine, sa tante. Francis, c’est le genre de chanteur que maman écoutait fièrement, les fenêtres grandes ouvertes dans sa voiture défraîchie, qu’il vente ou qu’il pleuve… Pas besoin de vous faire un dessin, vous avez maintenant compris d’où vient mon prénom.
Ancien agent du service client de la RATP en France, Francis n’est pas si loin de certaines habitudes, mais ici, il est un observateur attentif. De Mme St-Hilaire, l’adorable petite mémé, au professeur de philosophie à McGill ou à Moussa, l’ami fidèle, le narrateur esquisse des portraits et raconte des expériences de vie.
Pour Marine Sibileau, il ne s’agissait donc pas tant de raconter l’histoire d’un immigrant que d’étayer son écriture romanesque avec une résonance peut-être personnelle. En tant qu’immigrante elle-même, elle a pu observer certains faits sociaux. Il est donc évident que Les Nuages du métro est une œuvre issue d’une observation continue. On peut dire que Marine Sibileau propose ici une manière originale, concrète et lyrique, intime et universelle, de s’engager dans une littérature de l’exil. Finalement, elle nous livre un roman à la fois très réaliste et très drôle.
Heidi Provencher
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