Rupture : Exil, Perte, Déracinement
Une poésie du seuil
Le recueil de Lélia Young s’ouvre sur une fracture primordiale : séparation d’avec soi-même, la nature, le cosmos, la vérité. Une poésie du déchirement, mais aussi de la quête, entre blessure et lumière.
L’exil comme matrice
Dès le poème « EXIL », le ton est donné :
« J’ai quitté ma naissance par la senteur des fleurs »
« au sein du froid sec et des tempêtes de neige »
L’exil ici dépasse la géographie. Il devient métaphysique. Quitter un Sud natal, chaleur, jasmin, lumière, pour entrer dans un monde glacial, abstrait, où l’identité vacille. Cette traversée intérieure évoque les écrits d’Édouard Glissant, pour qui l’arrachement est aussi le point d’origine d’une poétique du lien, de la relation.
La douleur d’être
Dans le poème « Les espaces infinis », une question brutale surgit :
« Pourquoi »
« Obsession sur l’attente »
Entre vide et vertige, ce cri silencieux rappelle les vers de Senghor, toujours à la frontière du visible et de l’invisible, de la blessure intime et de la mémoire collective.
« Comment sonder l’invisible / Pour briser l’exil / et retourner chez soi »
Ce retour n’est pas géographique : il est retour à l’origine, à un lieu d’avant la chute, avant la matière, avant la division de l’être.
Avènement : Souffle, Lumière, Réintégration
La seconde partie du recueil marque un tournant. Le langage s’élève. La parole devient souffle, mouvement, traversée.
Le mot comme matière vivante
Dans « Sans titre », le mot se fait corps :
« Le mot marche et survit / Il se solidifie tangible / et passe la frontière »
Ici, la parole agit. Comme chez Césaire, elle devient force, incarnation. Le mot franchit les limites, porté par un tourtereau, messager de paix, d’intuition, de passage entre les mondes.
Une cosmologie poétique
Dans « L’empreinte de l’érable », symboles et éléments se multiplient : arbre, feu, phénix, galaxies…
« Le phénix… des cendres sylvestres »
L’érable, symbole du Canada, devient arbre-mémoire, lieu de renaissance. Le feu, loin de détruire, initie.
« L’air tridimensionnel alimente l’irrationnel au péril de la connaissance »
Ici, la pensée rationnelle est ébranlée. Ce rejet du cartésianisme rappelle les visions de Baudelaire ou Rimbaud : une confiance dans une connaissance poétique, intuitive, supérieure.
L’éthique dans l’esthétique
« L’oligarchie hume la rose sans regarder sa vérité »
Un vers incisif. Derrière la beauté, la critique : il dénonce l’aveuglement de ceux qui consomment le monde sans en voir la souffrance. La poésie de Lélia Young s’inscrit dans une tradition engagée, à la manière d’Éluard ou Neruda, où l’art devient résistance.
Un réseau de résonances
Thème | Chez Lélia Young | Résonances |
---|---|---|
Exil, arrachement | « J’ai quitté ma naissance… » | Césaire, Senghor |
Poésie mystique, cosmique | « Galaxies », « vibrations », « feu » | Saint-John Perse, Novalis, Rimbaud |
Langage vivant et sacré | « Le mot marche et survit » | Valéry, Char |
Poésie engagée, politique | « L’oligarchie hume la rose… » | Éluard, Neruda |
Renaissance, lumière | « Phénix », « cendres sylvestres » | Gibran, Rilke |
Une poésie de transmutation
Rupture et avènement est un recueil vibratoire, porté par la tension entre chute et élévation. Lélia Young y déploie une parole libre, charnelle, traversée par les forces du monde et les échos du cosmos. Entre l’exil et la réintégration, entre la blessure et le verbe, sa poésie devient un instrument de transmutation : éveil de conscience, chant de retour à l’unité.
Un livre rare, où la poésie retrouve sa mission la plus haute : relier l’être, le monde et le mystère.
Nathasha Pemba et Claude François