Il y a des vies qui ressemblent à des atlas : elles contiennent des pays, des luttes, des exils et des retours. Celle de Frantz Voltaire en est une. L’homme se raconte sans détour : son départ d’Haïti à 19 ans pour fuir la dictature de François Duvalier, les combats politiques menés au Chili jusqu’à la prison et la torture après le coup d’État contre Allende, puis le long chemin vers Montréal, devenue sa terre d’ancrage.
Frantz Voltaire est plus qu’un témoin : c’est un passeur. Passeur de mémoire haïtienne, qu’il a su préserver et transmettre à travers ses recherches, ses archives, son engagement intellectuel. Passeur aussi entre les mondes, entre l’histoire d’Haïti et celle de la diaspora québécoise, entre la lutte contre l’oppression et la construction d’un espace culturel partagé.
Les pages de ce livre vibrent d’une énergie intacte, celle d’un homme qui refuse de laisser l’histoire se refermer sur les siens. En évoquant l’espoir de voir son peuple reconquérir sa place légitime, Voltaire ne sépare jamais sa trajectoire personnelle des grandes forces collectives qui l’ont façonnée. Ses blessures comme ses espérances portent la marque de cette dialectique entre intime et politique.
L’ouvrage révèle aussi l’homme privé, celui qui, en pensant au monde qu’il souhaite laisser à ses filles, refuse que la couleur de leur peau dicte leur destin. Dans ces confidences, on entend à la fois la voix du militant et celle du père, toutes deux animées par le même refus de l’injustice, la même exigence de dignité.
Un étranger de l’intérieur n’est pas seulement un récit de vie. C’est un fragment d’histoire contemporaine, raconté par un acteur de premier plan, où se croisent l’exil, la résistance et la mémoire. On en ressort avec l’impression d’avoir parcouru, aux côtés de Frantz Voltaire, non seulement les routes du monde, mais aussi les chemins complexes de l’appartenance et de l’engagement.
Nathasha Pemba