Les éditions JC Lattès en partenariat avec Radio France International (RFI) et la Cité internationale des Arts à Paris ont créé le Prix Voix d’Afriques, qui a pour objectif de faire émerger de nouveaux talents issus du continent africain, sur la scène littéraire francophone. En 2020, Yaya Diomandé devient le premier lauréat de ce nouveau prix littéraire. Avant de remporter le Prix Voix d’Afriques face à environ quatre cents manuscrits, ce texte a été refusé par plusieurs maisons d’édition de son pays, la Côte d’Ivoire. Le jeune auteur vit un véritable success story qui perdure puisque son livre continue de séduire de nombreux lecteurs francophones à travers le monde et vient d’être traduit en italien.
Pour son premier roman, Yaya Diomandé nous propose un voyage dans la Côte d’Ivoire de ces vingt dernières années, à travers le parcours initiatique du jeune Moussa.
Personnage central du roman, Moussa est un natif d’Abobo, une commune située près d’Abidjan, la capitale économique ivoirienne. Il passe son enfance à Marley, un quartier populeux et dangereux. Ses tribulations dans la jungle urbaine abidjanaise débutent lorsqu’il quitte l’école à l’âge de dix ans pour subvenir aux besoins de sa mère délaissée par son père. Il exerce alors plusieurs métiers : cireur de chaussures, apprenti mécanicien, balanceur sur un gbaka, chauffeur de taxi et manutentionnaire au port.
Diomandé emprunte un style truculent et manie aisément l’ironie pour décrire les péripéties du candide Moussa, en butte avec les réalités sociales, économiques et politiques de son pays, telles que la pauvreté, la polygamie, la corruption du pouvoir, les alliances politiques opportunistes, les crises post-électorales.
Au début du roman, le protagoniste est un enfant naïf au ton ingénu auquel on s’attache facilement. En grandissant, sa candeur laisse la place à un fatalisme et à un opportunisme extrême. Moussa devient un adolescent révolté puis un jeune homme violent et dénué de scrupules, qui escroque et vole. Il est certes victime de plusieurs coups du sort, mais Moussa prend aussi de très mauvaises décisions qui le mèneront tout droit à la Maca. Libéré lors du coup d’État de 2002, il devient un soldat de la rébellion durant la guerre civile puis un chef de bande à la fin de la guerre, toujours par pur opportunisme.
« Des hommes de notre compagnie, des ex-combattants se retrouvaient dans cette même ville. C’étaient majoritairement des conducteurs de gbaka, de taxi et des syndicalistes, ces jeunes gens qui se postent à chaque coin de rue dans toutes les communes d’Abidjan et à qui les conducteurs de gbaka et de taxi doivent verser un montant donné chaque fois que leur véhicule charge sur leur « terrain ». Ces syndicalistes, au lieu de défendre les intérêts matériaux et moraux de leurs syndiqués, préfèrent les battre, leur arracher une grande partie de leur recette quotidienne. Cette activité me séduisait […] Que de personnes frustrées, humiliées, battues et même torturées par ces jeunes travaillant en mon nom et pour mon compte. »
Le parcours de Moussa est jalonné de tentatives ratées de réaliser son rêve ultime d’aller à Bengue.
Diomandé, à travers son protagoniste, révèle la réalité de nombreux jeunes vivant dans les grandes capitales africaines pour lesquels le plus important c’est de survivre, quitte à emprunter des chemins tortueux. Sa voix porte celle d’une partie de la jeunesse africaine d’aujourd’hui, celle qui ne voit son salut que dans l’immigration, et qui est prête à emprunter sa voie la plus illégale, la plus périlleuse et souvent mortelle. Et pourtant, il existe d’autres solutions que celles de l’immigration. Avec un peu d’aide, ceux qui restent peuvent s’en sortir et vivre mieux que ceux qui sont partis.
C’est sans aucune réserve que je vous invite à plonger dans l’ambiance très réaliste et très énergique de ce formidable roman d’apprentissage.
Ayaba
Glossaire
Gbaka : mini bus dédié au transport urbain dans les grandes villes ouest africaines.
Maca : la prison civile d’Abidjan.
Bengue : l’Europe, l’Amérique…