IOCHKA DE CRISTIAN FULAS

À rebours de tout un courant littéraire qui se penche trop souvent sur le linéaire, Cristian Fulas, écrivain d’origine roumaine, livre dans ce roman une mémoire authentique, libre, singulière, digne d’un Gabriel Garcia Marquez. L’œuvre exempte de toute mansuétude misérabiliste ou pleurnicheuse met en avant l’histoire d’un amour transversal entre des gens, entre deux amoureux. Évocation d’un monde conservateur de ses traditions, monde taraudé par toutes sortes de situations, la guerre, les souvenirs et conflits, et dans lequel les épisodes d’affabilité, de passion ou de plaisir, parce qu’ils étaient rares, étaient tous bons à ouvrir, Fulas, à sa manière incisive et lyrique, témoigne à la fois du souci de conserver, voire perpétuer la mémoire d’une époque encore fraîche dans le souvenir des Roumains, et d’une fureur de vivre.

IOCHKA est un roman essentiel. Essentiel ici, signifie que nous avons à faire à un roman qui ramène non seulement à l’essence, mais aussi à l’existence. C’est un roman qui n’a pas fini de parler lui. Il fait partie de la catégorie des grandes œuvres qui dans le monde sont aimées par plusieurs lecteurs et parfois traités des romans impénétrables, à cause justement de leurs particularités; parce que justement, ils ne sont pas comme les autres œuvres; parce que ce sont des œuvres qui ont besoin d’un certain œil, voire d’une certaine disposition pour être lues et comprises; parce que ce sont des romans qui transcendent le vulgus.

Un contremaître, un ouvrier, un prêtre, un médecin. Une vie commune et plusieurs histoires de vie. Cette vie commune atemporelle, un univers clos. Tout y est à la fois réel et concret, mais aussi fabuleux, mystique et évanescent. Ici, la fidélité relationnelle est une profession de foi. Tout le monde est prêt à tout pour tout le monde, quitte à faire temporellement abstraction des principes universels.

IOCHKA est raconté dans les moindres détails. En témoignent les mots, les styles, les images, la verve, l’histoire de la Roumanie qui transportent le lecteur dans un univers légendaire.

 Il avait connu la steppe russe et les malheurs de la guerre, les plaisirs de la vie de troupe, les soldats de la guerre, les plaisirs de la vie de troupe, les soldats plus âgés l’aimaient bien, car il avait été quelques années à l’école de Sepsiszentgyöyrgy et savait lire et écrire le roumain (…).

L’histoire de IOCHKA est inséparable de l’histoire de la Roumanie.

Comme la plupart des œuvres littéraires, ce roman traite de la question humaine dans ses diverses manifestations. Cependant, l’auteur questionne les réalités qui touchent la personne humaine sous un angle différent.

Tout d’abord l’espace de vie… Selon l’auteur, IOCHKA vit dans une vallée sauvage des Carpates. Ce territoire est un territoire imaginaire. Les personnes qui y vivent exercent dans le domaine de la construction. Ils travaillent pour la construction d’un chemin de fer.

Iochka d’apparence précaire parle peu, mais c’est un homme qui porte en lui des sentiments très forts. Il aime ses amis et est très amoureux d’une femme avec qui il entretient une relation très fusionnelle.

Et un jour, alors qu’il partait de l’école vers la cantine, il l’avait vue pour la première fois. Blonde, pas très grande, pas forcément très belle, mais c’était la première femme qui le regardait attentivement et il lui avait rendu son regard, et un sentiment inconnu s’était enflammé dans son cœur, une émotion qui le prenait à la gorge et le faisait chanceler. 

Dans le cœur de IOCHKA, Ilona est l’essence de l’amour parce qu’il sait déjà que leur amour a été prévu à l’avance. Leur amour est contemplation, silence, bavardages, atemporalité, éternité. La mort et la vie en font partie. Ils vivent l’instant présent et à la fois l’éternité présente et continue. Éternité, parce que c’est un amour qui se crée et se recrée comme on pourrait le dire du roman lui-même, car chaque nouvelle page ressemble à un recommencement.

Elle l’a embrassé avec la passion d’une moribonde (…) et ses mains l’ont soulevée comme un flocon, l’ont posée sur cette chose grosse et longue comme un avant-bras dont il venait de découvrir l’utilité (…), sa chair a tranché l’autre chair et s’est unie avec elle, le ciel s’est ouvert et Iochka est entré dedans, il est entré et il a compris aussitôt ce qu’était ce paradis dont il avait tant entendu parler .

Le temps est donc essentiel dans IOCHKA, car si l’histoire semble atemporelle, c’est certainement parce que le temps est infiniment éternel, cyclique, perpétuel recommencement. Cela n’a aucune importance puisque la vie elle-même est dans l’infini et la mort dans la vie et dans l’amour, et le tout dans l’atemporel.

L’amour, la mort, Ilona, la femme par excellence, le sexe, la passion.

… le temps semblait ne plus couler, ne plus être ordre chronologique des choses, mais une masse indifférenciée de faits et de sentiments qui se manifestaient comme bon leur semblait, sans pouvoir être ordonnés par sa pensée qui ne prenait nullement en compte le passage de l’instant, mais la présence, la présence simultanée de toutes les choses qui composaient la mémoire.

L’histoire de IOCHKA évolue par cercles enveloppants, à la manière d’une circonvolution qui fait des va-et-vient, une histoire qui semble se répéter ou tourner en rond, mais une histoire qui n’est jamais la même parce qu’apportant toujours quelque chose de nouveau et d’ancien à l’ensemble de l’œuvre, nous offrant une autre vision de l’univers, des relations notamment de l’amitié et de l’amour; si bien que lorsqu’on arrive à ce qui paraît une autre histoire, on a envie de recommencer pour voir si c’est la continuité ou bien la fin.

Un immense silence se tissait entre eux, une sorte de bonheur qui durerait aussi longtemps qu’ils vivraient ensemble, un de ces silences qui disent plus de choses sur l’amour que tous les mots du monde, quel que soit l’ordre dans lequel ils sont dits. Sa main s’est tendue par-dessus l’espace du centre de la pièce, il a écarté d’un geste indiciblement lent les mèches mouillées qui barraient le visage de la femme, il l’a caressé d’un geste qui avait l’intensité d’un regard et, elle, avec le mouvement le plus naturel du monde a appuyé sa joue contre sa main lourde, noircie et boudinée.

NATHASHA PEMBA

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