Analyse littéraire
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Honneur à Cristina Montescu, La ballade des matrices solitaires, Montréal, Éditions Hashtag, 2020.
S
e souvenir d’une condition, d’une naissance, d’une histoire, d’un amour, d’un souvenir, d’une anecdote. C’est déjà ça! Il faut le faire. Cristina Montescu l’a fait. Elle n’a pas simplement allongé des mots sur un papier. Elle l’a fait. Elle l’a dit. D’une certaine manière, elle a dit la femme. Le titre est d’une éloquence bien rare. Elle questionne le lecteur : La ballade des matrices solitaires. Un titre qui fait rêver.
De quoi s’agit-il donc?
Trois femmes d’un certain âge, portées par la plume d’une narratrice, Ariana. Céline, Ana Maria et Marta. Elles ont vécu comme des femmes selon la société. Néanmoins, ont-elles seulement vécu selon leurs cœurs Non. parlons de désir. Ont-elles vécu selon leurs désirs
Dans ce roman, l’auteure traduit la réalité de certaines femmes après la maternité, au-delà de la quarantaine ou dans la quarantaine. Des femmes qui ne valent certainement plus grand-chose devant les hommes, mais qui peuvent encore exister autrement; des femmes que leurs progénitures appellent au secours en cas de situation difficile. Pourtant, l’une d’entre elles donnerait tout pour enfanter.
La vie! Toujours ce paradoxe…
À la lecture de “La ballade des matrices solitaires”, je comprends aisément que dans la vie d’une femme ou d’une mère, tout ne peut pas disparaître comme si elle n’avait jamais existé. Non, tout ne peut pas disparaître. Des traces de la féminité, même infimes, subsistent. On naît femme ou on le devient, peu importe. Mais, on le demeure, même au-delà de la maternité, dans un ailleurs autre que la maternité.
Le bonheur de la femme est possible au-delà de la maternité.
Car c’est bien cela que veut dire l’auteure : la féminité, longtemps victime de toute sorte d’extériorité a besoin de se déployer.
Après une lecture attentive, vient se greffer la question délicate de la trame du récit : une femme peut-elle trouver le bonheur ailleurs que dans la maternité?
Et c’est là où se situent, à mon sens, la force et la sincérité du récit, car loin d’éluder cette question de la maternité, elle la pose de manière directe en même temps qu’elle pose les problèmes d’immigration, de culture, de tradition. L’auteure veut rendre compte de la violence psychologique de l’anéantissement permanente chez la femme de plus de 40 ans.
Il y a d’abord Céline : un personnage comme on en rencontre de plus en plus. Le genre de femmes qui pensent arborer son rouge à lèvres et son fond de teint jusqu’à l’âge de 100 ans. Cette espèce de femme libre ontologiquement, mais aussi bonne et ayant un sens profond de la famille. Ces femmes-là qui pensent, malgré tout, que la vie ne s’arrête pas à la maternité et qui nous rappellent qu’elles ont toujours gardé leur liberté intérieure malgré le poids de la tradition et de la société qui a toujours confiné la femme.
Ensuite, il y a Ana Maria : la plus libérée sensiblement et sensuellement, à mon avis. Elle l’est par sa liberté de ton, sa liberté de dire et sa liberté affective. Son langage, ses désirs, mais aussi ses déprimes en sont la preuve :
Il y a à l’intérieur de la femme une âme ancestrale qui exige la maternité. Refuser à sa conjointe ou à son amante le droit d’enfanter équivaut souvent à la mise à mort de ce joli couple qui, quelques instants plus tôt, prenait un plaisir fou à faire et refaire l’amour.
Pour certains hommes également, le désir d’enfant est si profondément ancré dans leur cœur qu’ils se trouvent dans l’impossibilité d’assumer leur fonction sexuelle auprès de la partenaire qui leur refuse l’accès à la paternité.
Puis il y a Marta : l’avocate. Elle gère sa vie, mais elle gère aussi d’autres situations liées à son métier. Néanmoins, elle vit entre le passé et le présent, car des souvenirs de son enfance et de sa jeunesse remontent non seulement dans la mémoire, mais aussi dans les rêves. Toutefois, ce qui compte pour elle, c’est le l’instant présent, l’aujourd’hui de sa vie.
Il y a, entremêlés dans ces récits de vie, des représentations et des souvenirs liés à l’exil, le souvenir des parents en manque d’affectivité à l’égard de leur progéniture, le souvenir d’une grand-mère qui aurait tout donné pour sa petite fille. Mais il y a aussi la capacité à transcender des situations, à accepter les contingences et à se construire son bonheur à partir des expériences de la vie (Marta).
Les contextes, que l’on soit bureau, en famille ou entre amis, introduisent à la vie dans ce qu’elle est : naissance, le voisinage, bonheur, infidélités, réconciliation.
On note aussi, dans ce roman, la question de l’immigration. Cela montre que l’histoire n’a pas de fin et que le passé, quoi qu’on en dise, pèsera toujours sur le présent. On le voit avec le père d’Ariane, celle qui conte l’histoire des trois femmes :
Et le père qui a choisi de vivre dans son passé roumain et glorieux où il buvait, avec ses amis étudiants et d’amoureuses des passages, d’innombrables pichets de bière accompagnés de mici; raison pour laquelle, il occupe tous les soirs le canapé en cuire du salon pour se rincer soi-disant le cerveau de la saleté quotidienne en regardant des films d’action.
Si le problème de la femme paraît comme le leitmotiv du roman, on ne peut pas fermer les yeux sur la force de l’exil qui transparaît entre les lignes, une volonté de garder ses racines tout en s’ouvrant à la culture de la terre d’accueil.
Ce roman fait retentir en moi une question : celle de l’autonomie existentielle de la femme.
2 commentaires
Trois natures. Trois personnages. Trois expériences de vies apparemment ordinaires. Beaucoup de questions sans réponses, beaucoup d’envies, de déceptions, d’échecs. Bonheur si peu présent, illusoire et éphémère. Dans les trois femmes il n’y a qu’un seul être. Fragile, peureux, introverti mais aussi fort que la vie elle-même. Nous nous trouvons parmi les mots et les sentiments.
Merci Liviu.
Un grand roman avec un titre superbe comportant le mot matrice qui est un mot clé…