La religion dans la démocratie, parcours de la Laïcité de Marcel Gauchet

Marcel Gauchet est un philosophe français, directeur d’études à l’EHESS et rédacteur en chef de la revue Le Débat. Il s’intéresse depuis plus de trente ans aux transformations de la démocratie et aux conséquences de l’idée de la sortie de la religion, propre à l’Occident et dans le reste du monde. Son dernier ouvrage paru s’intitule : Comprendre le malheur français (Stock, 2016). Dans « La religion dans la démocratie » considéré comme la suite de la réflexion contenue dans « Le désenchantement du monde » (1985), l’auteur questionne le rapport entre le religieux et le politique. Plusieurs questions sont traitées dans ce livre: la laïcité, la sortie de la religion, l’ébranlement du politique, la redéfinition de la République, la séparation de l’Église et de l’État, l’éclipse du religieux. L’objectif est de comprendre les mutations de la société contemporaine en rapport à cette question de la sortie de la religion. Néanmoins la question au fond que pose Gauchet c’est aussi la question du primat de l’individu sur le collectif.

Dans le rappel historique qui ouvre son livre, il pose la question du rapport entre démocratie et religion en France, en l’orientant en trois phases, à savoir la phase absolutiste qui va de la fin des guerres de religion à la Révolution française et la phase libérale et républicaine qui va du concordat napoléonien en 1975. Dans un premier temps, il faut comprendre par absolutiste ici le cycle de la dictature qu’a connu la nation française à une époque donnée. C’est le temps de la domination de la religion qui sera renversée par la révolution qui consacre le pouvoir de l’État en lui permettant de devenir autonome par rapport à la religion. Quant à la deuxième phase, la libérale et républicaine, elle commence à partir de 1800 notamment avec la prise en compte d’une pensée bipartite qui distingue désormais l’espace public de l’espace privé, contrairement à l’époque où c’est la religion qui dirigeait la politique. Le moment fort de cette période est la prépotence de l’État. Le premier concordat de 1801 est considéré par certains philosophes et sociologues comme étant le premier acte de la laïcité française. Gauchet réalise, pour éclairer son propos, une comparaison entre le cas de l’Amérique et de la France au sujet du rôle de la religion dans le monde politique. En Amérique, la religion donne l’impression d’être mêlée à la politique, alors qu’elle ne l’est pas, d’autant plus que c’est elle qui, guidant les mœurs, permet de prévenir les maux de la démocratie. L’Église y est certes séparée de l’État, mais il n’y est pas question de haine, puisque la première supplée la deuxième et constitue en réalité un fond moral capable de terrasser les maux qu’entraine la politique. En revanche, en France, c’est la séparation malheureuse. L’État se sépare de la religion en la reléguant dans le privé. La laïcité devient donc le moyen de cette séparation.

La neutralité démocratique

Pour Gauchet, la neutralité démocratique ne signifie pas que le croyant lui aussi est coupé de sa dévotion religieuse. Dans le cadre des sociétés démocratiques, il s’agit juste de la séparation de l’Église et de l’État donnant à l’État et même à la religion son autonomie sans assujettissement. Mettre la politique hors de la religion ne signifie donc pas « rejet de la croyance ». Cela signifie que désormais, le citoyen peut assumer à part son rôle de citoyen et à part son rôle de chrétien, sans être obligé de mêler les deux dans une confusion inédite. Parmi les défauts de cette neutralité que soulève Gauchet, il y a le sacre de l’individu, car au plan normatif, elle (la neutralité) perd des acquis et l’individu trouvant cet espace vidé causé par cette neutralité, va prendre le pouvoir. Il faut donc retenir que la fin de la religion a supprimé l’idée de collectif pour donner le pouvoir à l’individu. La sortie de la religion n’a donc rien à voir avec l’absence de l’expérience religieuse, mais comme le souligne Gauchet « La religion de la sortie de la religion, c’est la religion qui, tout en restant ce qu’elle est, permet d’imaginer un domaine humain distinct de l’organisation proprement religieuse. Et c’est effectivement ce que rend possible le christianisme. Mais ce n’est pas le monothéisme en tant que tel qui permet d’opérer cette dissociation. On a l’exemple de monothéismes qui n’aboutissent pas au même résultat. Le judaïsme et l’islam ne poussent pas vers cette séparation ». (Entretien , Chrétiens, tournez la page, Bayard, février 2002). En somme, la sortie de la religion, c’est, pour la religion, le fait de ne plus exercer sa vocation normative dans la société.

L’âge des identités

L’identité pose la question de la relation entre l’individu et le citoyen. Mettant en parallèle la vision de l’identité au siècle des Lumières et dans le monde contemporain, l’auteur souligne que si avant l’identité s’apparentait à une réalisation ou une sorte d’aboutissement, aujourd’hui, elle est devenue un préalable au vivre-ensemble. L’universel semble avoir été avalé par l’homogénéisation des manières de vivre où le pluralisme moral paraît désormais inexistant. Les singularités existent certes, mais la force d’une identité communautaire les noie presque. Le milieu scolaire sert ainsi d’exemple, car si auparavant on apprenait à l’élève à entrer dans l’esprit de la république et se façonner une identité, désormais il est presque imposé à l’enseignant de prendre en compte les identités des élèves. Dans ce cadre, de l’identité se pose donc la question de la laïcité, mais aussi du rôle de l’école dans l’éducation à la démocratie.

En somme,

La réflexion de Gauchet demeure encore d’actualité aujourd’hui, car elle est une lumière qui peut éclairer les débats actuels voguant entre la religion, l’identité, la démocratie, l’individualisme, la tolérance, le pluralisme, les diversités, la citoyenneté et le collectif. Il nous invite à la fin de son livre à penser l’avenir des sociétés démocratiques ensemble, car beaucoup reste encore à venir : « Ainsi pouvons-nous prendre le risque de dire que nous verrons, un jour, la marche de la démocratie repartir dans une autre direction. Un jour impossible à prévoir, mais un jour marqué d’avance, néanmoins, dans le dispositif de la démocratie tel qu’il se redéploie aujourd’hui. Sa logique procédurale identitaire laisse apercevoir dès à présent le point de contradiction autour duquel s’effectuera le renversement du cycle. À un moment donné, l’idéal de l’autogouvernement ramènera au centre de l’attention, comme ses points d’appui indispensables, ces dimensions de la généralité publique et de l’unité collective répudiées par les aspirations de l’heure. Elles se recomposent sous de nouveaux jours, tandis que l’idéal d’autonomie lui-même trouvera un nouveau langage » (Gauchet, p. 174-175)

Pénélope Mavoungou 

Références 

Marcel Gauchet, La religion dans la démocratie. Parcours de la Laïcité, Paris, Gallimard, « Folio/Essais », 1998.

Aller plus loin,

Marcel Gauchet, Le Désenchantement du monde. Une histoire politique de la religion, Gallimard, Paris, 1985.

Patrick Weil (avec Nicolas Truong), Le Sens de la république. Les réponses aux onze questions que tout le monde se pose sur l’immigration, l’identité nationale, la laïcité, le religieux, les discriminations, les frontières, Paris, Grasset, 2015.

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