J’y ai fait des rencontres marquantes et j’ai fraternisé
Diplômée en communication avec une spécialisation en cinéma, Lucie Lachapelle œuvre depuis plusieurs années en bordure de pays littéraires, journalistiques et cinématographiques. Son parcours professionnel comprend des rôles d’enseignante, notamment au Nunavik, ainsi que des missions en tant que consultante en communication et recherchiste pour divers documentaires de l’Office national du film. Présente, entre la passion et la persévérance, avec une expérience hors pair dans l’univers autochtone. C’est d’ailleurs ce qui constitue l’ossature de sa dernière œuvre : Les yeux grands ouverts publiée chez Pleine Lune.
Ma vie est liée au monde autochtone depuis près de 50 ans. […] J’ai de la famille chez les Premiers Peuples, des amis eeyous, anishnabegs, wabanakis, atikamekws, innus, wendats, mohawks, malécites, ojibwés et inuit. Avec eux, j’ai eu la chance de parcourir le Nunavik, les territoires cris de la Baie-James et l’Abitibi, de m’imprégner de la beauté et de la grandeur de ces lieux, de sentir leurs odeurs, de voir leur lumière. Mais ma relation avec le monde autochtone est avant tout une histoire d’amitié et d’amour.
Peut-être moins des fragments de vie personnelle que des vérités d’histoire ou de l’incontournable nécessité de la rencontre. De ceux que l’on peut lire au pied de son lit, dans son sofa, dans l’autobus ou dans une bibliothèque. Des fragments de vie, qui dévoilent l’intime écriture, l’altérité et la réciprocité dans un élan de fraternité et d’amitié ; une sorte de fresque qui rejoint cette conviction : accueillir, relever les laissés-pour-compte de notre société, leur donner la parole. C’est cet appel criant que nous lance Lucie Lachapelle dans son œuvre. On pourrait aussi dire que l’amour des mots, des gestes et de la création peut influer sur les existences pour une altérité épanouie. Au-delà des slogans et des devises, et bien que la rencontre de l’autre ne soit pas toujours évidente, chacun de nous expérimente chaque jour la commune fragilité de nos réalités (la mort, toujours si proche ou l’Apartheid). Et, comme disait Sartre : Autrui est le médiateur indispensable entre moi et moi-même. N’est-ce pas rassurant en quelque sorte ? La rencontre de l’autre serait un chemin pour apprendre à se reconnaître frères et sœurs au-delà et à savoir apprécier leur présence, signe de leur humanité !
Au fil des ans, Georges m’a beaucoup parlé d’elle et de l’héritage qu’elle lui a légué : sa langue et les richesses de sa culture. Des enseignements transmis de génération en génération, vastes et multiples. Cette femme était une géante du savoir cri traditionnel, une femme-musée. Elle connaissait tout de la forêt, des animaux, des plantes guérisseuses, des forces invisibles ; elle a connu la vie nomade sur le territoire cri, les longs voyages en canot ; elle a donné naissance dans les grands tipis et sous la tente, elle a soigné et nourri sa famille.
Usant d’autant d’inventions que d’érudition joyeuse et de récits imagés, Lucie Lachapelle, enjambant les siècles, les systèmes et les écoles, nous convie alors à vivre avec elle certains fragments d’existence à partir de son expérience personnelle. Ce faisant, d’une langue sans le moindre apprêt, souple et coulante, elle nous donne à contempler un monde, son monde, notre monde, leur monde. Les yeux grands ouverts n’est pas un tombeau, mais une cure de jouvence : un geste résurrectionnel.
Je fais le vœu qu’ils contribuent au dialogue amorcé avec les Premières Nations et les Inuits, dans l’espoir que l’on puisse, un jour, vivre une véritable réconciliation. Il aura fallu des décennies pour que les consciences s’éveillent. Cela ne doit pas s’arrêter là.
Par Sara Balogun