Conversation avec Stephane Ilinski

Né au cœur de Paris et élevé dans l'atmosphère austère des pensionnats, Stéphane Ilinski nourrissait le désir fougueux d'intégrer la Légion étrangère, jusqu'à ce que l'influence délicate de sa grand-mère le guide vers les rivages enchantés de la poésie, modifiant ainsi le cours de son destin. Après des années d'études consacrées aux Sciences économiques et aux Langues orientales, il se lance dans une odyssée à travers l'Asie, l'Inde et l'Europe de l'Est. Revenu en France, il donne naissance à une pléthore d'œuvres poétiques envoûtantes, à un premier roman et à des nouvelles captivantes. Depuis une décennie, il a élu domicile à Montréal, où il poursuit avec ardeur son engagement littéraire, tissant des récits empreints de magie et de profondeur.

Bonjour, Stephane, comment allez-vous ? Nos lecteurs ont besoin de savoir qui vous êtes. 

Bonjour, je suis touché et ravi de cet échange dont vous m’offrez l’occasion.

Félicitations pour votre recueil de nouvelles Contes bougons !

Merci, et surtout merci pour votre lecture !

Vous avez été conçu à Montréal et êtes né à Paris. Vous avez beaucoup voyagé! Comment vivez-vous ces diversités et ces rencontres qui surgissent parfois dans votre parcours ? Impactent-elles votre façon d’être écrivain ?

J’ai effectivement d’abord voyagé au stade embryonnaire, peut-être cela m’a-t-il donné le goût des déplacements plus tard. Plus sérieusement, vous évoquez à juste titre des « diversités » et des « rencontres », c’est exactement ces deux choses qui m’ont poussé très tôt à vouloir regarder ailleurs, à ouvrir les portes pour fouler d’autres terres. La surprise des rencontres va pour moi de pair avec la différence, et si le déplacement géographique n’est pas nécessaire pour y accéder, le voyage peut agir comme une forme de rite initiatique à la notion d’Autrui. Pour l’écrivain, je pense que l’autre n’est pas l’enfer, mais plutôt synonyme de voyage, de diversité et de rencontre. Ce sont des nutriments essentiels, en ce qui me concerne.

Le désir de la Légion étrangère, pouvez-vous nous en dire un peu plus ?

Rire. Là, c’est à moitié sérieux. Ce désir, né – et mort – durant l’adolescence relevait davantage d’une image d’Épinal très romantisée de ce corps militaire. Dans le désordre, comprenez : participer à des aventures périlleuses aux côtés de personnes venues du monde entier, de toutes classes sociales, dans l’anonymat, l’égalité de traitement, le dépassement de soi, en marge de la société… Bref, c’est assez éloigné des réalités martiales de la Légion. Après avoir usé quelques bancs d’un pensionnat militaire (jumelé avec un régiment de légionnaires) où j’avais été placé, je me suis rendu compte que je n’avais aucun attrait pour l’autorité, la hiérarchie, les armes… oups !

Le passage de la poésie, au roman et à la nouvelle témoigne-t-il de quelque chose de précis ou simplement de la notion d’exploration inhérente à la vision de l’Écrivain… Même si certains naissent et meurent poètes ?

J’ai commencé par écrire de la poésie. Spontanément, même si ma grand-mère maternelle m’a beaucoup murmuré que c’était une voie non marchande et non vendeuse, mais infiniment précieuse. Elle m’a transmis ce délicieux venin, qui court encore dans mes veines. À vrai dire, je ne sais pas vraiment écrire sinon à l’ombre de la poésie, même si certaines formes semblent s’en éloigner. La poésie m’habite en veille et en somme, j’y reviens toujours, c’est un phare. À l’écrit, en lectures, à l’écran, au balcon, à l’épicerie…

Parlez-nous un peu de votre recueil de nouvelles Contes bougons

L’idée du premier conte du recueil, So far, si proches, est partie d’une plaisanterie – teintée d’humour noir – échangée avec mon frère à propos des aberrations du duel, tel qu’il était pratiqué jusqu’au début du siècle dernier dans certains pays. Puis, j’ai eu envie de me frotter à d’autres sujets, tout aussi chargés d’aberrations mais qui sévissent toujours dans nos actualités, comme les questions identitaires et les dérives qui en découlent. J’ai tenté de composer des histoires où les accidents existentiels ne sont pas exempts des paillettes grotesques ou comiques qui les accompagnent souvent, comme j’aime à l’observer dans l’existence.

Les personnages du recueil sont très attachants. Sont-ils inspirés de votre entourage ou bien est-ce de la pure fiction ?

Un peu des deux. Des personnages empruntent certains traits à mes connaissances, mais je distille ces inspirations à faible dose et je m’efforce de brouiller ces attributions. La plupart des intervenants sont purement fictifs et se sont d’ailleurs parés d’apparences propres au fur et à mesure que j’en écrivais les péripéties. Seuls deux témoins du premier conte pourraient rappeler des personnalités publiques – rire -, lesquelles ne sont, par bonheur, nullement des proches !

La nouvelle Les randonneuses nous ramène à votre expérience de globetrotter. D’où vous est venue l’inspiration pour écrire ce recueil ?

La narration de Brillante randonnée se situe principalement au Yukon, où je ne suis pas encore allé, mais qui a toujours titillé mon imaginaire, au gré des lectures de Jack London bien sûr, mais surtout en rêvassant devant des cartes géographiques. Mais en effet, dans tous les autres contes du recueil, les personnages n’échappent pas au mouvement, franchissent des frontières, baroudent, se perdent, vont et viennent – comme s’ils avaient une liberté absolue de le faire. Parfois c’est la fuite ou l’exil, parfois c’est la soif (dans tous les sens du terme) ou l’élan d’aller vérifier si l’herbe est réellement plus verte au loin… L’inspiration en ce sens est assez simple et commune à tout le recueil : bouger pour se sentir libre, faute de l’être, le voyage à la fois comme une nécessité vitale et un miroir aux alouettes redoutable.

Pouvez-vous nous parler de cinq livres qui vous ont marqué ? Le genre de livres qui ne quittent pas votre chevet…

Aïe, le piège du puits sans fond ! Je vais tenter la concision ! Histoire de Gil Bas de Santillane (Alain-René Lesage) : je relis chroniquement ce roman picaresque par réconfort, comme un potage maison un soir d’hiver. Guignol’s band (L.F. Céline) : au-delà de la forme littéraire ahurissante d’inventivité et de musique, ce roman inachevé me fait rire aux larmes. Conte bleu (Marguerite Yourcenar) : pour la prouesse structurelle et esthétique de cette immense autrice. Ferdydurke (Witold Gombrowicz) : sorte de quadrature du cercle pour le gombrowiczien invétéré que je suis. Les dangers de fumer au lit (Mariana Enriquez) : lu récemment, mais dont la puissance et l’intelligence fictionnelles résonnent en moi comme une très belle réussite littéraire actuelle.

Quelle différence y a-t-il entre vos anciennes publications et ce recueil ?

Sortir de la poésie, sur le fond comme la forme, a toujours été pour moi un défi, une aventure périlleuse. Le « souffle » de l’endurance que peut exiger l’écriture d’une nouvelle ou, plus encore, un roman, ne coule pas de source chez moi. Il y a une rigueur, une discipline, auxquelles j’aime de plus en plus me frotter, même si je ne peux m’empêcher régulièrement de m’accorder quelques « sprints » poétiques buissonniers. Et puis, la grande différence entre mes publications précédentes et ce recueil est à la mesure des rencontres et lectures desquelles je me suis imprégné.

Êtes-vous d’accord avec Platon que l’écriture nous fait perdre la mémoire ?

Pour Socrate, l’écriture revêt un caractère toxique contrairement au discours oral – par lequel on peut échanger avec autrui, défendre des idées, donc penser. Davantage que la perte de mémoire, Platon reproche à l’écriture d’appauvrir notre capacité de souvenir, donc de savoir. Or, n’étant pas (nécessairement) philosophe, l’écrivain n’a pas vocation à savoir, à ce devoir de mémoire, ni même à penser. Tel un saltimbanque, il peut se permettre d’oublier, non ? Certains écrits ont beau rester, on les oublie aisément. D’ailleurs, quelle était votre question ?

Montréal, Paris… Des grandes villes. Comment le « je » peut-il survivre au milieu de ce « nous » sans perdre son identité première ?

Grandes villes ou pas, le « je » ne saurait se développer sans les autres – ni cette perméabilité au « nous ». La porosité est, avec la mixité, le mélange, une propriété vertueuse de l’être humain. Je ne suis qu’une somme : de forces contraintes passées (historique familial, éducation), de rencontres successives, et de « nous » constitutifs. Mon identité évolue sempiternellement, à l’instar de la langue dans laquelle je m’exprime, c’est une preuve de leur vitalité.

Un écrivain doit-il forcément se couper du monde pour créer ou bien a-t-il besoin du monde pour créer ? À quel moment de votre création avez-vous ressenti le besoin d’arrêter de voyager pour créer ou de continuer à voyager pour créer ?

Oui et non. Avoir besoin de recul pour écrire, oui. Se couper du monde, pas en ce qui me concerne. Je peux d’ailleurs très bien écrire dans le brouhaha d’une cuisine, d’un aspirateur ou de conversations. Certains ont besoin de silence absolu, de solitude, ce n’est pas un facteur impérieux pour moi. Quant au voyage, je n’ai pas arrêté, les occasions sont simplement plus rares et ma situation familiale s’y prête moins pour l’instant. Mais je compte bien reprendre le fil des découvertes, et puis restent les rencontres.

Un dernier mot…

Je suis tout de même ravi d’avoir échappé à la Légion étrangère, ce qui vient de me permettre d’achever l’écriture d’un nouveau roman ! Et je vous remercie pour votre lecture et pour cet espace d’expression que vous m’avez accordé.  

Je vous remercie…

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