Stève Wilifrid Mounguengui : La Francophonie est poétique ou ne sera pas

Poète et philosophe, Stève Wilifrid Mounguengui est originaire du Gabon et réside en France depuis 2002. Formé à la philosophie et à la sociologie, il travaille dans le milieu éducatif et social. Auteur de quatre recueils de poésie, il a publié en 2023 son premier récit Tu as fait de moi celui qui enjambe le monde.

Bonjour Stève Wilfrid. Comment allez-vous ? Votre prénom est-ce Stève Wilfrid ou bien Stève Wilifrid ?

Bonjour, mon prénom est Stève-Wilifrid.

Pouvez-vous nous présenter à nos lecteurs ? (Origine, lieu de résidence, formation, etc.)

Je suis un poète-romancier gabonais résident en France. Je suis diplômé de philosophie et de sociologie. Dans les deux domaines, les champs que j’explore sont ceux des identités et de la reconnaissance.

Tu as fait de moi celui qui enjambe le monde est le titre de votre dernier ouvrage, c’est un hommage à votre mère. À vos origines. Quel rapport entretenez-vous avec votre pays le Gabon ?

Dans Tu as fait de celui qui enjambe le monde (éditions du Mauconduit), je parle de mon exil en Europe. À l’époque de l’écriture de ce récit, cela faisait 16 ans que je n’avais pas revu mon pays.  Je suis reparti pour la première en 2018 et en 2023 je suis reparti pour la 2e fois en vingt-et-un an. C’est par l’écriture que j’entretiens un rapport au Gabon et c’est elle par elle que j’ai pu y retourner à deux reprises. Je reste fondamentalement attaché à mon pays natal. Je me sens lié indéfectiblement à cette terre.

Quel type de poète êtes-vous ? Pragmatique ou… rêveur ?

Ni pragmatique, ni rêveur, simplement poète.  Être poète c’est être tout cela en même temps. Toute transfiguration du réel passe d’abord par le rêve. Le philosophe Rorty ne dirait pas le contraire. Il fait déjà rêver d’une société juste pour essayer de la faire advenir. Rêver, c’est inventer un autrement qu’être du temps et du monde. En cela, le rêve est l’oasis au milieu du désert qui croît. Il le circonscrit, contre son avancée. Par là même, le rêve est l’espérance qui rend le monde habitable, la petite lumière dans la nuit du monde.

Si l’on vous demandait de définir « les mots », que diriez-vous ?

Pas grand-chose. L’essentiel est incommensurable pour les mots. Ils sont la face émergée du sens. Il faut peut-être essayer d’aller au-delà, dans leur clairière, en dessous pour saisir la dimension cachée, la part silencieuse du monde qu’ils ont la prétention de porter au discours.

Que pensez-vous de cette phrase de Lamartine : « La poésie est la langue de tous les âges de l’humanité, naïve et simple au berceau des nations, conteuse et merveilleuse comme la nourrice au chevet de l’enfant. »

J’aime beaucoup Lamartine et les autres poètes romantiques. Ils avaient rendu à la poésie sa correspondance avec la nature et partant avec l’enfance de l’homme. En ce sens, la poésie est religion. Elle relie l’homme au monde et à lui-même. C’est ainsi qu’on la retrouve dans toute l’humanité.  On peut dénier à certains peuples une avancée technologique, mais jamais la dimension poétique. Elle demeure après la catastrophe qu’elle devance déjà.  La poésie est de ce point de vue ce qui ne peut être volé à aucun peuple.

Quelle fut la logique ou l’incohérence à la base de votre création littéraire ?

Ni logique ni incohérence, mais un désir à la base du processus de création. Parce que l’écriture ne surgit que dans la faille, comme pour colmater la brèche, faire un pont entre deux rives. L’écriture est la parole posée sur les silences lorsque j’éprouve le besoin de déplier l’archive de ma vie. C’est ma façon pour essayer de débrouiller les fils pour mettre la lumière sur la part nocturne de mon parcours. Ma poésie et mon roman disent cette longue quête. C’est une tentative d’élucidation de soi pour ne pas perdre l’équilibre, pour rendre habitable le monde partout où je suis, apprivoiser cette existence loin du pays natal.

Comment expliquer la superficialité de plusieurs personnes lorsqu’il s’agit de la poésie ?

Nul n’est superficiel. C’est une affaire de goût. Certains n’aiment pas le foot et ne lui trouvent aucun sens, d’autres relèguent la poésie au superficiel. Ils ont leurs raisons. Une chose est certaine : tout fait sens tant que cela rend le monde habitable.  Je défends le droit de ne pas aimer la poésie.

Revenons sur le titre d’un de vos ouvrages : dans quelles mesures peut-on parler de l’énigme des ruines ? Les ruines peuvent-elles être énigmatiques ?

Toute ruine est une énigme. Elle raconte quelque chose qu’il nous appartient de déchiffrer. En Ariège, je me suis rendu disponible pour être à l’écoute de ce murmure venu d’un autre temps pour saisir et comprendre l’histoire contenue dans ces lambeaux de murs qui me regardaient.  J’ai questionné pour comprendre ce qui fait que des hommes et des femmes abandonnent un jour le monde façonné et légué par leurs pères. Je voulais savoir comment tout à coup, ces pâtres tournaient le dos à leurs paysages familiers, aux gestes, aux arts qui avaient façonné leur monde pour se mettre en marche vers les grandes villes, plus loin encore que les vallées voisines. Mon recueil de poèmes L’Énigme des ruines (éditions La Kainfristanaise) est une interrogation née devant la sidération où j’étais plongée dans la montagne, au milieu du vieux pays à l’abandon.

Comment entrevoyez-vous, l’avenir de la poésie dans la Francophonie ?

Je l’ignore. Mais force est de constater que les gens qui ont en partage le français aiment la poésie. La Francophonie est poétique ou ne sera pas. La question est de savoir quel est l’avenir de la francophonie sans la poésie.

Votre dernier mot ?

Croire au monde par-delà les frontières.

Merci,

 Merci, pour cet entretien dans votre magazine.

Nathasha Pemba pour OU’TAM’SI MAGAZINE

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