À la rencontre de Guy Bélizaire

Alors qu’il vient de publier son deuxième recueil de nouvelles consacré à la mémoire et aux souvenirs, « Mémoires vagabondes » (Éditions Terre d’accueil), l’écrivain Guy Bélizaire revient sur cet ouvrage, sur la passion des origines (Haïti dans son cas) et sur l’Universel. Et en fait, des origines qu’on ne peut renier et une universalité qui nous interpelle.

Bonjour, Guy, comment allez-vous ?

Bonjour, Pénélope. Je vais très bien, merci. J’espère qu’il en est de même pour vous.

Félicitations pour ce nouveau recueil de nouvelles. Je garde un excellent souvenir de vos œuvres et je suis heureuse de constater que vous êtes resté fidèle à vous-même… Comment vous connectez-vous à votre inspiration ?

Je vous remercie pour votre gentillesse et je suis très heureux de savoir que mes livres vous plaisent.

Pour ce qui est de mon inspiration, je ne fais rien de particulier pour forcer sa visite. Rien d’autre qu’être attentif à ce que je vois, entends et ressens. Attentif à ce qui se passe autour de moi et à mes pensées. Tout simplement. Souvent, cela donne de bons résultats, mais pas toujours. Car c’est capricieux l’inspiration. Elle ne s’offre pas tout le temps. Elle peut arriver à l’improviste comme elle peut aussi disparaître et faire la sourde oreille pendant longtemps.

Toutefois, je suis de ceux qui croient qu’avant tout, c’est une question de travail, de discipline. Je crois qu’une routine dans la pratique de l’écriture est le meilleur moyen pour susciter l’inspiration.

Considérez-vous l’être humain comme un vagabond, comme un insatisfait, comme un nomade naturel ou comme une réserve de mémoires ?

L’être humain est très complexe et ne peut être considéré sous un seul angle. Ainsi, les termes pour le définir sont nombreux. Néanmoins, insatisfait fait sûrement partie de la liste. Ce n’est pas nécessairement négatif en soi puisque c’est ainsi que l’humain arrive à se dépasser, à s’améliorer, à repousser des limites. C’est souvent en raison de son insatisfaction, mais aussi par la recherche de l’excellence.

Toutefois, il n’y a rien de louable quand l’insatisfaction s’applique à l’accumulation de la richesse et du pouvoir au détriment du bien-être d’autrui.

L’être humain comme réserve de mémoire, absolument. Dès notre naissance, nous commençons à en faire provision et c’est ce qui nous permet d’apprendre, qui nous relie à la réalité, à ce qui a été et sera. Nous faisons constamment appel à notre mémoire pour poser les gestes de la vie quotidienne, pour déterminer notre présent et forger notre avenir. En termes d’expérience, de vécu et de savoir, la mémoire est une fabuleuse richesse. D’où le drame quand la maladie s’en mêle et qu’on perd cette faculté. Dès lors, nous sommes coupés du monde extérieur et nous n’existons qu’en partie.

Mémoire vagabonde porte-t-il des germes de diversité et d’immigration comme vos précédentes publications ?

Beaucoup moins. Si la plupart des personnages sont des immigrants, Mémoire vagabonde s’articule surtout autour des souvenirs qui les ont marqués, des souvenirs qui les habitent et qui parfois, refont surface au gré des événements. J’évoque les vicissitudes de la vie en général, mais très peu la problématique de la diversité. En ce sens, ce recueil est différent de mes précédentes publications.  

Que ma langue s’attache à mon palais si je perds ton souvenir, souligne le psalmiste. Considérez-vous qu’un homme qui a perdu la mémoire a perdu l’essentiel ? Peut-on raconter une histoire lorsque la mémoire nous lâche ?

Perdre la mémoire, c’est perdre une part essentielle de soi. Notre rapport à nous et aux autres est complètement chamboulé. À mon avis, dans de telles circonstances, il est très difficile de raconter une histoire cohérente, car pour ce faire, on se base sur ce que l’on sait, ce que l’on a connu pour dire, décrire et communiquer.

Je crois comprendre que c’est un phénomène complexe que malheureusement, même la science n’arrive pas encore à élucider.

Le fait d’écrire modifie-t-il votre vision de la vie ? Haïti est toujours dans vos « écrits », est-ce que votre pays d’origine vous manque ? Je pense ici à la nouvelle Surprise à Beijing (de votre dernier recueil). Qu’est-ce que cela fait d’entendre des étrangers parler sa langue ou de rencontrer un « frère » hors du pays ?

Je dirais plutôt que le fait d’écrire aiguise ma sensibilité vis-à-vis des choses de la vie. Je crois que la vie elle-même est un roman et tout ce qui s’y déroule est sujet à être raconté. Donc, le fait d’écrire me rend plus alerte à ce qui se passe en moi et autour de moi, plus à l’écoute, plus observateur.

Est-ce que Haïti me manque ? Oui. Je crois qu’en général, le pays d’origine manque toujours à un immigrant. Ce qui est triste, c’est que ce pays qui nous manque et qu’on évoque sans cesse n’existe plus ou seulement dans nos mémoires, car le monde bouge et tout change, y compris les gens que nous avons connus et avec qui nous avons vécu de belles histoires.

Concernant la nouvelle Surprise à Beijing, en effet, cela fait toujours plaisir d’entendre des étrangers parler sa langue maternelle. Du coup, ils ne sont plus des étrangers à nos yeux. Cette langue commune crée instantanément un rapprochement, une connivence qui, autrement, aurait mis du temps à s’établir ou ne serait jamais arrivé.

Revenons au dernier mot de votre recueil, Universel. Que signifie-t-il pour vous ? Correspond-il à votre vision de la fraternité ou de l’humanité ? Peut-on dire à l’instar de Gandhi que « tous les hommes sont frères ? »

C’est un très beau mot : Universel. Une douce sonorité. Il fait référence au monde dans sa globalité et à ceux et celles qui l’habitent. Ces frères et sœurs qui souvent s’ignorent, qui font semblant de s’ignorer ou encore qui refusent d’admettre qu’ils et elles sont unis dans leur unicité. Au-delà sa sonorité, c’est ce que ce mot représente à mes yeux ; non seulement le monde et ce qu’il renferme, mais l’harmonie qui devrait y régner.

Dans votre recueil, vous faites un peu le tour de la réalité humaine : amour, amitié, retrouvailles, famille, etc. Il y a même une nouvelle intitulée Jésus. La prise en compte de ce qui est considéré comme humain ou comme l’humain dans les diverses sociétés a-t-elle un impact sur votre création littéraire ?

L’amour, l’amitié, la famille, ce sont des thèmes universels (encore ce mot) et ils constituent ce que vous nommez la réalité humaine. Dans toutes les sociétés, une vie est beaucoup basée sur ces trois piliers. Sinon, elle est bancale. Alors c’est un peu normal qu’ils constituent une source de création littéraire et pas seulement pour moi.

Quant à l’aspect retrouvailles, mon âge et ma condition d’immigrant font en sorte qu’il est très présent dans ma vie. Je rencontre souvent des gens que je n’ai pas vus depuis longtemps. Un moment toujours empreint de joie et d’émotions et qui me fait revivre des souvenirs heureux. Parfois, s’y pointe aussi un peu de déception, quand les souvenirs ne correspondent plus à la réalité, parce qu’on se rend compte que l’autre a changé ou que nous avons évolué différemment.

Quelles ont été ou quelles sont vos influences ? Dans ce que vous écrivez, on entend parfois un écho à Haïti, avec lequel vous entretenez une relation particulière. Quels sont les 3 auteurs haïtiens les plus importants qu’on trouve dans votre bibliothèque ?

Mes influences littéraires sont diverses et pour certaines, il est probable que je n’en suis même pas conscient. C’est la somme de toutes mes lectures, de tous ces auteurs et auteures que j’ai rencontrés par le biais de leurs livres.

Pour ce qui est d’Haïti, oui, l’écho résonne très fort dans ce que j’écris et c’est tout à fait normal. Il s’agit de mes racines. J’ai quitté le pays, mais il est toujours en moi, tous les jours de ma vie. Je fais partie de ceux qui ont eu la chance de connaître une Haïti différente de celle qui existe aujourd’hui.

Des auteurs haïtiens importants, il y en a beaucoup et n’en citer que 3, c’est un peu injuste pour les autres, et ils sont nombreux, tant en Haïti qu’à l’étranger. Mais puisque vous me demandez de citer 3 seulement, je nommerai Jacques Roumain, Jacques Stephen Alexis et Marie Vieux-Chauvet. Cependant, dans ma bibliothèque, il y en a plein d’autres : René Depestre, Anthony Phelps, Émile Ollivier, Yannick Lahens, Joël Des Rosiers, Kettly Mars, Lyonel Trouillot, Louis-Philippe Dalembert, Georges Castera, Dany Laferrière, Roger Dorsinville et plusieurs autres.

Pouvons-nous revenir à vos nouvelles ? Elles concernent, selon la quatrième de couverture, la condition humaine, donc à la fois la question des relations entre les humains, des questionnements existentiels et la question des relations entre les cultures, ou plutôt, pour dire comme Malraux, « Une vie ne vaut rien, mais rien ne vaut une vie. ». Commençons par cette question, essentielle de nos jours : comment vivre aujourd’hui ?

Franchement, je ne le sais pas. Ce serait prétentieux de ma part de dire comment vivre aujourd’hui. Je crois que c’est à chaque humain de trouver sa philosophie de vie, sa voie, son équilibre. À mon avis c’est une quête de tous les instants. Une quête personnelle.

Revenons au titre de votre ouvrage : pourquoi Mémoire vagabonde ?

Quand j’ai commencé l’écriture de ce recueil, je n’avais pas un titre précis en tête. Très vite cependant, je me suis rendu compte que la majorité des nouvelles faisaient référence à la mémoire, aux souvenirs et cela sous différentes formes et dans différents lieux. Dès lors, ce titre s’est imposé parce qu’il représente bien le contenu du livre.

Merci Guy,

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