Historique de l’œuvre
Dans les années 1950-60, Claude Gauvreau conçoit Les entrailles comme un recueil d’« objets dramatiques », une forme unique de théâtre poétique, proche du cri, du rêve et de l’hallucination verbale. Il travaille activement avec des éditeurs pour publier cet ensemble de textes qu’il considère comme un jalon majeur de son œuvre. Cependant, des obstacles éditoriaux, financiers et sans doute aussi le climat culturel frileux de l’époque font avorter le projet. Certains extraits paraîtront plus tard dans des anthologies, mais jamais dans le format voulu par l’auteur.
C’est cette lacune que Thierry Bissonnette vient combler, en reconstituant minutieusement l’œuvre telle qu’elle aurait dû paraître. L’édition actuelle se veut fidèle aux intentions de Gauvreau, tant dans la structure que dans l’esprit, et replace ses textes dans leur contexte créatif, idéologique et poétique.
Une œuvre radicale et essentielle
Ce recueil, véritable météorite littéraire, se compose de pièces qui repoussent les limites du théâtre traditionnel. On y retrouve la marque du langage exploréen, inventé par Gauvreau, qui transcende la logique syntaxique pour toucher à la vibration pure de la langue. C’est une poésie dramatique unique au monde, qui confond le texte et le cri, le verbe et l’extase.
Les entrailles met en scène une vision radicale du théâtre, non pas comme mimèsis mais comme expérience sensorielle et viscérale. Ce n’est pas un théâtre à jouer, mais à ressentir. L’auteur s’y proclame « le plus grand poète de l’Univers », non par vanité, mais par provocation poétique, dans une tentative de subversion de toutes les normes artistiques.
L’édition Bissonnette : une œuvre de justice
Par cette publication, Bissonnette ne fait pas que remettre un texte entre les mains du public : il répare une injustice historique. Gauvreau, longtemps marginalisé, souvent incompris, trouve ici une place légitime parmi les Classiques du XXIe siècle, bien que jamais primé. L’inclusion de Les entrailles dans cette collection marque un tournant : c’est une reconnaissance posthume, mais éclatante, d’un auteur hors norme.
In Fine
Les entrailles – Objets dramatiques est un ouvrage d’une rare intensité, autant par son contenu que par son histoire éditoriale. À la fois manifeste poétique, théâtre de l’irreprésentable et cri de révolte contre les conventions, il révèle une facette essentielle de l’univers gauvréen. Ce livre n’est pas à lire de manière linéaire, mais à explorer, à ressentir. Il est désormais un ouvrage de référence indispensable pour les bibliothèques, les chercheurs et les amoureux d’une littérature qui bouscule, qui dérange, mais qui éclaire.
Heidi Provencher