Les femmes de Bidibidi de Charline Effah, Éditions Emmanuelle Collas, 2023

« Je lui pardonnais d’être partie. On peut haïr une femme. Mais on ne peut pas haïr une femme battue. » (page 33)

Après avoir quitté son époux violent, Joséphine a travaillé dans l’humanitaire durant quarante ans. Infirmière, elle s’était attachée à Rose, une réfugiée qu’elle avait soignée dans le camp de Bidibidi, en Ouganda. Au terme de sa mission humanitaire, Joséphine avait décidé de rester dans le camp auprès de sa protégée. À la mort de son père, Minga se lance sur les traces de Joséphine et entreprend le long voyage depuis Paris pour se rendre à Bidibidi et retrouver sa mère disparue. Situé à dix heures de route de la capitale ougandaise, Kampala, et proche de la frontière de la République démocratique du Congo, Bidibidi est « une ville transit, un espace hors du temps où vivent deux cent soixante-dix mille hommes et femmes qui ont quitté le Soudan du Sud ». Charline Effah sait de quoi elle parle puisqu’elle s’y est rendue elle-même pour nous offrir ce roman poignant.

« Sans pouvoir enterrer leurs morts, ils ont traversé des forêts et esquivé les balles des combattants en renonçant à ce qu’ils étaient hier. Ils se sont rassemblés dans le camp pour continuer à vivre. » (page 42)

Ces jours-ci, le conflit au Soudan s’est brutalement imposé dans l’actualité mondiale avec la diffusion d’images insoutenables sur les réseaux sociaux par ceux-là mêmes qui commettent des exactions : viols et meurtres de masse. Depuis, de nombreux journalistes et blogueurs nous abreuvent d’analyses expliquant le conflit entre le pouvoir arabe de Khartoum et les populations noires du Soudan du Sud, avec toujours en toile de fond le pillage des ressources naturelles du Soudan opéré par des opérateurs étrangers qui profitent du chaos pour s’enrichir. En 2023, le roman de Charline Effah apportait déjà un éclairage sur ce conflit que la plupart d’entre nous choisissions d’ignorer, car trop éloigné de nous et trop incompréhensible. L’autrice gabonaise y a déployé tout son talent de conteuse pour nous attacher à ses héros, et nous n’avons pas d’autre choix que de vivre à travers eux le drame qui se joue dans cette région du monde où « qu’elle ait deux ans ou quatre-vingt-dix ans, une femme n’est rien d’autre qu’un corps à profaner ». À l’instar de Rose, la protégée de Joséphine, qui finira par se révolter contre la brutalité de son ancien compagnon, Chadrac. La confrontation ultime entre Rose et son ennemi le plus intime me hantera longtemps après que j’aurai refermé le livre.

« Rose Akech traquait pourtant encore le bonheur au fond d’elle, car les rêves ne meurent jamais. Mais ils peuvent se briser en mille morceaux. Rose, elle, ne craignait pas de raccommoder ses rêves. Cette femme était un feu que la guerre avait allumé, que ni elle ni personne n’avait jamais su éteindre. » (page 125)

La résilience et la combativité de Rose constituent une belle leçon de vie que je vous invite tous à découvrir en lisant ce roman bouleversant.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Vous aimeriez lire également:

Black Jack Caraïbe de Valérie Lieko, Independently published  2025

Valérie Lieko est une auteure afropéenne née en Belgique. Elle a vécu sa petite enfance dans l’ex-Zaïre à Kinshasa, avant que sa famille ne déménage dans le Condroz belge. Médecin neuropédiatre, ce n’est qu’à l’âge de quarante ans qu’elle réalise son rêve d’écriture, pour le plus grand bonheur de ses nombreux lecteurs. En 2020, Valérie

Lire plus

Chronique littéraire – Un étranger de l’intérieur. Entretiens avec Frantz Voltaire

« Nous étions tous portés par un rêve… » Cette phrase de Frantz Voltaire résonne comme un leitmotiv à travers ses entretiens avec Sarah Martinez. Un rêve de justice pour Haïti, première nation à abolir l’esclavage, un rêve qui a survécu à la dictature, à l’exil, à la prison et à la torture. C’est ce fil rouge qui transforme Un étranger de l’intérieur en bien plus qu’un simple récit autobiographique.

Lire plus

Chronique littéraire – Les ombres de la mémoire. Entretiens avec Régine Robin

« Ma terre promise est un lieu d’indétermination. » Cette phrase de Régine Robin, comme jetée au détour d’une conversation, porte en elle tout un monde : celui d’une intellectuelle qui a fait de l’entre-deux sa patrie véritable. Dans Les ombres de la mémoire, recueil d’entretiens menés par Stéphane Lépine peu avant sa disparition en 2021, on retrouve intacte cette voix singulière qui savait transformer l’exil en poste d’observation.

Lire plus

« Une enfance de sable » – Liliane Blanc : la mémoire coloniale à hauteur d’enfant

Dans l’oasis d’Ouargla, au crépuscule de l’Algérie française, une petite fille de cinq ans découvre le monde. Une enfance de sable de Liliane Blanc, publié aux Éditions de la Grenouillère, nous plonge dans cette Algérie de la fin des années 1940, à travers le regard de Millie qui suit son père militaire et sa mère espagnole dans ce territoire aux équilibres fragiles. Entre récit d’apprentissage et témoignage historique, ce roman interroge notre rapport à la mémoire coloniale avec une délicatesse rare.

Lire plus

« Si on me presse de dire pourquoi je l'aimais, je sens que cela ne peut s'exprimer qu'en répondant : Parce que c'était lui, parce que c'était moi. »

Publicité

un Cabinet de conseil juridique et fiscal basé à Ouagadougou au Burkina Faso

Devis gratuit