Les lumières d’Oujda de Marc Alexandre Oho Bambe

Analyse littéraire

Nos rédacteurs chevronnés décortiquent, décomposent, passent les ouvrages littéraires francophones au peigne fin pour observer le sens, la structure et la portée d’une parution récente ou vous font redécouvrir un grand classique. 

Honneur à Marc Alexandre Oho Bambe, Les lumières d’Oujda, Paris, Calmann Lévy, 2020.

Oscillant entre vers poétiques et écriture narrative, Les lumières d’Oujda, dès la première page transcrit une douleur :

Je pleure encore.
Devant toutes ces grenades dépouillées.
Le long des routes du monde.
Jeunes gens aux regards hagards.
Adolescents incandescents aux vécus de mèche allumée.
Gamins ; gamines.
En quête d’azur.
De vie meilleure.
D’Europe.
D’ailleurs.
D’Eldorado, qui chante.
Faux.

La désolation de Mano, le narrateur, se saisit, de prime abord, lorsqu’il raconte la douleur, la misère de l’immigrant. Dès ce prologue onirique, le narrateur présente le long de la narration, des vers relatant la galère et la misère de l’exil ; malgré les bonheurs passagers que l’on peut y rencontrer. Un migrant est avant tout un migrant et cela ne s’oublie pas. Cette thématique traverse tout le roman. Marc Alexandre Oho Bambe répond en filigrane aux diverses questions qui se posent aux jeunes originaires d’Afrique qui décident d’immigrer en Occident. Partir se présente en effet comme l’unique solution, aussi vraie qu’incompréhensible. Seule la personne qui décide de partir comprend pourquoi elle part, comme l’expriment Yaguine et Fodé quand ils décident de quitter le Foyer du père Antoine à Oujda.

Le miracle de la rencontre

Sur fond des misères de l’exil, le narrateur nous invite néanmoins dans un monde fait de rencontres. La plupart des histoires où les rencontres sont évoquées sont considérées comme des Lumières. Que ce soit la rencontre de Mélodie à Rome, des jeunes de l’association d’Aladji à Douala, du père Antoine ou encore d’Imane à Oujda, les rencontres apportent toujours de la joie dans la vie de Mano et de son entourage. Les thèmes de l’immigration et de la rencontre se superposent, de ce fait, dans la narration. Un amour à Rome, un engagement à Douala, Une fraternité à Oujda. Le narrateur n’est pas une personne aigrie, car même s’il en veut aux gouvernements démissionnaires des terres d’accueil qui refusent l’hospitalité dans les lieux originaires, il l’exprime de manière très responsable et invite à une prise de conscience globale. D’ailleurs, son engagement social auprès des jeunes est la conséquence d’une colère politique.

Le retour

Partir est une décision. rentrer au pays est aussi une décision.
Revenir.
Partir.
Devenir.
Partir de rien.
Revenir à tout, à soi.
Refuser toute compromission, toute concession, tout ce qui ne nous convient pas, ne nous convient plus, ne nous a jamais convenu et qu’on a accepté parce qu’on pensait ne pas avoir d’autres choix que celui d’être un une autre, qu’on n’était pas, qu’on n’aimait pas.

Mano est rapatrié dans son pays le Cameroun.

Il décide d’assumer désormais son destin. Alors que Sita, sa grand-mère est heureuse de le revoir, toutes les autres personnes se moquent de lui. Encouragé par Sita, il décide de recommencer ou de commencer sa vie dans ce pays qui l’a vu naître.

Le retour, à la différence du départ, ne fait qu’attirer et alimenter les critiques. L’ex-mbenguiste est stigmatisé. Il refuse de laisser les émotions prendre le dessus sur lui. Il assume ce rapatriement. Le courage du départ se transmue paisiblement, au fil de la narration, en une volonté d’engagement grandissant pour un homme qui a connu les misères de l’exil, malgré l’hypocrisie des personnes, pour finalement arriver à l’expression d’une fraternité sociale assumée. 

Je m’étais engagé, je pouvais témoigner, je devais le faire, au nom de toutes celles et tous ceux qui n’avaient pas eu la même chance que moi. On m’avait peut-être rapatrié, mais j’étais vivant.

Un livre que je recommande

Dès que j’ai lu la deuxième page, j’ai aimé ce roman de Marc Alexandre Oho Bambe. Il m’a fait penser à plusieurs romans sur l’immigration, mais il m’a surtout fait penser aux tragédies continuelles qui engloutissent des milliers de vies aux portes de l’Europe devant le silence des chefs d’État d’Afrique et l’hésitation politique de l’Union européenne. Par conséquent, l’écrivain repose continuellement la question dans la narration : pourquoi part-on? À cette question, plusieurs possibilités de réponses envahissent l’esprit, mais la réponse se trouve surtout dans la citation, tout au début du livre, de Mahmoud Darwich : « l’homme libre est celui qui choisit son exil ». En effet, dès qu’on est forcé de partir, on ne peut plus parler de liberté.

Marc Alexandre Oho Obambe décrit dans ce roman ce qu’il observe. Il mêle la prose à une langue qu’il maîtrise : la poésie. Il rend hommage à la femme, mais aussi à l’universalité des droits humains. En parlant de racisme, il parle de tribalisme et de xénophobie et cite Plaute qui disait de l’homme qu’il était un loup pour l’homme. Que l’on se trouve au Sud ou au Nord, c’est toujours l’homme qui est à la base de la misère d’autrui.

Écrire, cela peut être prendre parti.
Prendre parti pour la beauté. Pour la dignité. Pour la justice.

Pour moi, Les lumières d’Oujda est un roman sur l’immigration et l’hospitalité, un roman qui invite au réalisme.

C’est un roman magistral, un beau livre qu’on garde dans sa bibliothèque.

Propos recueillis par Nathasha Pemba, 12 février 2021.

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