Il y a dans la vie de chaque personne des moments de joie, de pur bonheur, de réalisation de soi, mais il y a aussi des moments de tristesse, de pertes, de grandes pertes et de doute. Heureusement, il y a ce que je me permets librement d’appeler ici la renaissance, en attendant le mot adéquat. Ce parcours de vie me semble être aussi celui de Gabriel Osson qui, dans son dernier livre, Les voix du Chemin, paru aux éditions Terre d’accueil, trace le chemin en laissant émerger les voix entendues ou perçues lors de son pèlerinage à Compostelle, il y a quinze ans.
Je suis parti sans savoir que ce périple allait chambouler toute ma vie. Le cœur battant, j’ai mis mes pas dans les leurs. J’ignorais ce qui m’attendait sur ce chemin d’asphalte, de terre, de montagnes, de roches et de sable…
Gabriel Osson a parcouru 887 kilomètres pour aller vers l’inconnu, un inconnu qui est aussi un à venir. Pourtant, la question que l’on a envie de poser est la suivante : qu’est-il donc allé faire sur le chemin de Compostelle?
En pleine crise existentielle, ma vie me pesait. Tout me dérangeait, tout m’agaçait. Je rageais devant les circonstances; la mort ne m’effrayait plus.
Ce fut pendant ma convalescence, à la faveur de je ne sais quel évènement que j’ai découvert Compostelle. J’ai fait cet étrange vœu de m’y rendre pendant ma rémission.
C’est dans la crise existentielle que se situe certes la décision, mais c’est là aussi que se situe la grâce de ce récit de Gabriel Osson qui se veut un hommage à la vie, une action de grâce à la vie, car il est difficile de parler de la vie sans perte. Et cette perte ici est double. Il y a une perte de soi, mais il y a aussi une perte des personnes chères. Gabriel Osson, qui, socialement et financièrement est accompli, se perd. Il perd sa fille, il perd sa sœur, il divorce, il fait un AVC. Il se perd au point de se questionner chaque jour de ce qu’est devenue sa vie. Dans cette perte de lui-même, il est livré à l’anxiété, à l’angoisse, aux interrogations sempiternelles. L’expérience de Compostelle qui devient comme le lieu de sa rédemption intervient à ce moment-là.
Ce livre se divise en trois grandes périodes. La période d’avant, essentiellement constituée des moments de vaches grasses certes, mais aussi des difficultés familiales et des problèmes de santé. La deuxième période est celle du chemin. Et la troisième période est celle où les voix du Chemin s’imposent et donnent un itinéraire. Ce livre constitue un témoignage minutieux sur l’état de nos prisons intérieures, sur l’état de nos vies parfois dispersées inutilement, sur l’état de nos peurs, de notre manque d’estime de nous-mêmes, témoignage, à bien des égards, formateur, mais aussi salvateur. Tout y est, le passé, le présent, la marche, le présent.
Aussi faut-il souligner la beauté intimiste et puissante de ce récit qui vogue entre les thèmes de l’identité, de la découverte de soi, de la kénose, du ralentissement, de l’altruisme, du partage, du silence, de la persévérance et de la discipline, ce récit de Gabriel Osson livre un message essentiel : celui du lâcher prise. Il attire notre attention, sur le fait, parfois, de vouloir tout contrôler dans la vie. Cet excès de contrôle qui broie notre énergie et nous rend dépendants, dispersés et troublés. Apprendre à maîtriser notre ego pour retrouver l’énergie de notre âme et trouver des points d’appui pour pouvoir continuer notre marche terrestre, oser s’ouvrir, oser se dire et dire notre douleur, dire notre misère intérieure est essentiel.
Il est donc question de l’humain, mais aussi de l’âme, dans son rapport à lui-même, au cœur des situations parfois les plus difficiles qu’il rencontre dans sa vie. Car que dire d’une vie sans introspection, sans metanoia? Que répondre à un ami ou une amie qui vient nous parler de son deuil, de sa misère à oublier, de sa difficulté à avancer après la mort d’un être cher, du vide de son cœur après un divorce? Gabriel répond que se bloquer ne change rien au fait qu’on a tout perdu. La perte est toujours une perte certes, mais la perte touche l’à venir et l’avenir. Elle ouvre aux possibilités. Elle nous propulse, car c’est finalement le vide de la perte qui prend du sens parce qu’il faut le remplir. La perte d’un être cher nous propulse vers de nouveaux liens, de nouvelles rencontres comme nous le remarquons dans le récit de Gabriel Osson. S’enfermer ou abandonner n’est pas un destin, car perdre est une promesse relationnelle.
Le lâcher-prise dans Les voix du Chemin c’est aussi prévoir, prendre ses responsabilités pour s’assurer un avenir meilleur. Gabriel Osson invite donc, à ne jamais se résigner parce que le lâcher-prise est une action et non une inertie pour subir la vie. C’est d’ailleurs tout le sens du cadeau qu’il offre à la fin du livre, aux lecteurs; un cadeau que je vous laisse découvrir parce qu’il est personnellement destiné à chaque lecteur.
De la perte à la découverte de soi, Gabriel Osson pense la projection dans l’aujourd’hui. La joie de vivre, la kénose, la réalisation de soi, le lâcher-prise. C’est là le message des voix du chemin : le bonheur est dans l’ici et maintenant. Mais c’est aussi à cela que tient la justesse de ce livre : avancer.
Nathasha Pemba