Marie Clark- Nous défricherons chacune un monde

Cultiver son jardin. Marie Clark est une cultivatrice de traditions. Elle cultive un jardin réel, mais elle amène aussi les générations futures à cultiver le leur et à se cultiver. L’utilisation du haïku dans ses textes n’est pas anodine et encore moins insignifiante. Elle s’inspire de cet art du minuscule pour semer… parce que le monde a besoin de semeurs.

« Il faut cultiver notre jardin », dit Candide à Pangloss à la fin de Candide ou l’Optimiste de Voltaire. Marie Clark va plus loin : cultiver et passer à l’action pour défendre le vivant. Déjà pour cultiver un jardin, il faut détenir certaines qualités comme la détermination, la patience, la volonté, etc. En utilisant la forme des haibun, l’auteure valorise la double symbolique de la culture : culture comme tradition ou patrimoine et culture comme terre. Le titre qui commence par un « nous » imprime l’idée de l’individuel et du collectif pour préciser que la terre étant notre maison commune, il nous appartient tous de la protéger et d’en prendre soin. Il y a donc, chez elle, un mouvement permanent entre le je et le tu.

Se souvenir

Une grand-mère un peu sorcière transmet à sa petite-fille les leçons qu’elle a retenues de sa relation avec le jardin. L’évocation de la grand-mère fait penser aux traditions et celle de la transmission fait penser à l’héritage et à la continuité. La grand-mère symbolise la famille, la tradition, les valeurs. Marie Clark me rappelle ici l’écrivain Amadou Hampâté Bâ qui affirmait : en Afrique, un vieillard qui meurt est une bibliothèque qui brûle . C’est une façon de rendre hommage aux aînés dont la grand-mère est incontestablement le pivot et qui, dans ce recueil, occupe une place de choix.

Tu découvrais le monde avec ta bouche. Des papillons plein les papilles, tu récitais l’enfance du moindre caillou, te plaisais à prononcer « À pleut-près » les noms des fleurs. Des fruits mûrs roulaient dans tes larmes, mon jardin entier en équilibre sur ta joue.
Petite herbe, cette terre t’a vue grandir
 
tu veux rester nue
le premier rayon du jour
te couvre d’or

Terre mère

Rappel au sens du vivant. Connexion à la fondation et au fondement. Marie Clark invite les générations futures à désobéir aux tendances destructrices du monde actuel et à défendre la vie sous toutes ses formes. En cultivant son jardin, l’auteure a compris qu’à l’urgence environnementale, il faut répondre par une mobilisation et qu’il faut un « principe responsabilité » pour les générations futures. Notre civilisation s’est déconnectée de la Terre mère et a perdu le sens du vivant. C’est donc le moment de l’action.

dimanche matin
en vagues sur le jardin blanc
l’envolée des cloches
 
(…)
premier ministre
il prononce « réforme :
j’entends “saccage »
 
Ta jeunesse ne convoque aucun conseil. Tu as raison de forger tes propres rages. Je pousse tout de même quelques fruits de lente culture au fond de ta dépense. Un don ne perd pas de valeur, même s’il fermente dans l’oubli. Après tout, l’oubli est la mémoire la plus parfaite.

Des haïkus engagés qui invitent à l’action et au respect du vivant et de la nature; un guide de responsabilité pour toutes les générations pour apprendre à aimer et à respecter tout ce qui nous entoure. La spécificité de ce recueil, c’est que le haïbun comme forme littéraire est utilisé pour traduire le message de l’auteure. « Forme littéraire d’origine japonaise, le haïbun combine prose brève et poésie brève »[1].

Avec une discipline d’écriture remarquable, Marie Clark redonne au haïbun sa vocation de guide, de chemin pour sauver l’essentiel. Elle redonne à la nature ses lettres de noblesse en montrant qu’au-delà de la beauté du haïku, il est d’abord question d’un processus et d’un engagement pour une cause juste.

J’étais grande, tu étais petite. Depuis, ton pas s’allonge, le mien rétrécit. Tout change toujours, ainsi va la vie. Viens, ma belle herbe, il vente, la pluie embellit tes cheveux. Il fait temps à planter les pieds dans une autre terre. Ne tardons pas, il faut préparer mon départ et le tien.

Quand quitter est l’acte même de la moisson.

tout dort encore

j’attends que tes pas réveillent

l’escalier


Nathasha Pemba

[1] Le Haïbun

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