Réinventer la démocratie de Jean Laliberté

Jean Laliberté est un auteur québécois, spécialiste en sciences politiques. Réinventer la liberté est un livre technique qui souligne l’expérience d’une personne qui a longtemps œuvré dans le champ politique. Le livre est divisé en deux grandes parties. Dans la première partie, l’auteur traite des déficiences de la démocratie élective. C’est dans la deuxième partie qu’il propose le troisième modèle de démocratie qu’il juge nécessaire pour sortir du modèle démocratique actuel. C’est le cœur même de l’ouvrage. Si l’auteur écrit pour l’univers politique en général, son livre s’adresse avant tout à la démocratie québécoise.

De quoi la démocratie est-elle le nom ?

Jean Laliberté consacre les deux premiers chapitres à une analyse du mot démocratie selon diverses configurations. D’abord selon son histoire, puis selon sa définition. Il part de la première expérience démocratique dans l’Antiquité grecque avec Solon qui accorda à la plupart des citoyens athéniens le droit de vote. C’est ce qu’on appelle, en langage politique, la démocratie directe. Ce type de démocratie a eu d’immenses pourfendeurs, dont Platon qui estimait que la démocratie athénienne portait en son sein une malformation « presque congénitale » issue de l’incompétence et de la démagogie du peuple. C’était, selon lui, une sorte de pouvoir de la masse.

Laliberté part donc de l’histoire de la démocratie et de son expansion en dehors de la Grèce, ce jusqu’au 18e et 19e siècle où la destruction de l’Ancien Régime se révèle comme le seul moyen de faire naître une démocratie moderne afin d’asseoir l’État sur de nouveaux fondements.

En ce qui concerne la résurgence et l’enracinement de l’idée de démocratie, Laliberté pense que si pendant un certain temps, la caractéristique de la démocratie était le suffrage universel, avec le temps, les partis politiques se sont imposés comme mode d’expression de la citoyenneté.

Qu’est-ce que la démocratie ?

Reprenant le politologue Gorges Burdeau, Laliberté affirme que le mot démocratie souffre d’un excès de signification. Il y a la signification étymologique, celle du gouvernement du peuple par le peuple, celle de la règle de la majorité et celle de l’idéal à partir d’une vision, d’un projet, d’un objectif et des moyens pour le réaliser. Néanmoins, il pointe du doigt le fait que la démocratie soit hautement estimée et survalorisée par certains États. Le cas des pays de l’Est qui avaient fondé leur espoir sur la démocratie. C’est aussi le cas de l’Afrique qui a rapidement changé de régime sans savoir ce qu’impliquait réellement la démocratie, car la démocratie n’est pas le fruit d’une génération spontanée :

« La plupart des pays du tiers monde qui se sont proclamés démocratiques immédiatement après leur indépendance, alors qu’ils étaient pauvres ou instables, sont devenus des dictatures en moins de dix ans ». (p. 30).

À la suite de ce regard historique, deux types de démocratie ont attiré l’attention de l’auteur : la démocratie libérale et la démocratie sociale.

Selon Laliberté, quand on parle de la démocratie libérale, on retrouve les expressions suivantes : les élections libres et honnêtes, l’existence d’un état de droit, la séparation des pouvoirs et les protections des droits de paroles, d’assemblée, de religion et de propriété. Cet ensemble de droits forme ce qu’on appelle « le libéralisme constitutionnel ». Dans les démocraties occidentales, le libéralisme constitutionnel et la démocratie vont de pair, parce qu’en Occident, elle est inscrite dans la tradition qui a pour rôle de protéger la dignité humaine en face de toute forme d’aliénation. Ce qui n’est pas le cas dans les démocraties non occidentales. C’est pourquoi, jusqu’à ce jour, lorsqu’on parle de démocratie libérale, on pense de manière directe à l’Occident.

Le deuxième point s’est concentré sur la démocratie sociale. Contrairement aux libéraux qui prônent la séparation, entre le social et le politique, les démocrates sociaux insistent sur l’importance que revêt le social dans une démocratie. Il faut accorder de la valeur à la société.

La démocratie représentative et la démocratie participative

Après avoir fait un rappel historique et définit les différents types de sens démocratiques, Jean Laliberté propose une troisième forme de démocratie qu’il juge nécessaire pour résoudre toutes les difficultés qui se posent aux sociétés démocratiques aujourd’hui. Il propose donc un modèle de gouvernement qui sera pris en main par la population elle-même, sans l’existence des partis politiques. C’est ce qu’il appelle la démocratie participative. Le contexte pour lequel l’auteur propose la mise en place de ce modèle est la société québécoise. Car il considère que le Québec est la province la mieux adaptée pour appliquer son idée. De ce fait, il fait reposer son idéal de démocratie sur trois piliers principaux : les idéaux, les participants, les institutions et les pratiques démocratiques. Ces éléments sont, de son point de vue incontournable pour la réalisation de la démocratie participative qu’il appelle de tous ces vœux.

Les outils et techniques de la participation politique

Selon l’auteur, la participation comprend quatre volets : l’information, la délibération, l’élaboration de solutions et leur mise en œuvre. Il juge nécessaire la prise en compte des TIC qui facilitent, selon lui, la délibération. Cependant, il faut retenir que l’engagement des citoyens demeure incontournable dans toute option de participation politique. Sans implication citoyenne, il n’y a pas d’existence de la démocratie participative. C’est pourquoi il est important d’envisager la création des regroupements afin de faciliter la bonne gouvernance. Grâce à ces regroupements, les citoyens pourraient s’engager au-delà du vote, dans la gestion de la chose publique.

Nous avons répertorié en les regroupant les rôles que Laliberté confie aux regroupements ;

Donner une voix aux citoyens ordinaires, aux contribuables moyens, aux consommateurs, aux usagers des services publics, aux travailleurs non syndiqués, aux petits commerçants ;

Donner une voix à tous ceux qui ne sont pas de groupes puissants pour les représenter et défendre leurs intérêts ;

-Se focaliser sur les sujets d’intérêt général comme l’éducation, la santé, l’économie, l’environnement, la culture, etc. ;

-Créer un Conseil de la bonne gouvernance, organisme qui remplacerait le Directeur général des élections, serait chargé de guider la création et le bon fonctionnement des Regroupements, responsables entre autres de sélectionner des personnes compétentes pour siéger à l’Assemblée nationale;

-La confiance des gens dans la probité du processus formerait le fondement de la légitimité démocratique des gouvernants.

L’Assemblée nationale serait le lieu où ses membres représenteraient tous les citoyens sans distinction de quoi que ce soit. Ces membres se préoccuperaient de la situation de tous les citoyens. L’assemblée que préconise l’auteur devrait fonctionner selon le modèle du Sénat américain. Le pouvoir serait détenu par les commissions sectorielles et ne serait pas concentré dans les mains d’une seule personne comme c’est le cas présentement avec le premier ministre. Il s’agirait d’une direction collégiale plus susceptible d’être à l’écoute des gens que des individus imbus de leur pouvoir.

Conclusion

En fin de compte, le livre de Jean Laliberté est une contribution à la réflexion démocratique, car il lui donne l’occasion de sortir du rêve de l’idée d’une démocratie idéale qu’incarnerait la démocratie élective. La démocratie participative est présentée par Jean Laliberté comme la solution principale du problème de la démocratie élective personnifiée par le trafic d’influence, le trafic de l’argent et l’existence des groupes de pression. Il pointe la recherche d’argent qui encadre les périodes électives ; une recherche d’argent qui entraine la corruption. Les électeurs sont choqués par la corruption flagrante qui règne parfois dans le système politique. Cela touche à la morale et conduit la politique à s’égarer hors des sentiers de l’éthique. Or une politique sans éthique est une jungle. Ce n’est certes pas général, mais dans beaucoup de cas, cela semble présent. Pour l’auteur, l’argent est véritablement le péché de la politique.

Pour le moment, l’idée de Laliberté ne se pense qu’au conditionnel, car le système électif est encore le seul qui se pratique de nos jours, dans les démocraties. La balle se trouve dans le camp des hommes politiques qui doivent réfléchir si elle est faisable ou non. Pour notre part, nous estimons que si la démocratie est un régime qui porte en lui les germes de sa propre destruction, cela ne signifie pas qu’elle est la plus mauvaise. La démocratie participative sans élection enrayerait-elle la corruption ? La démocratie participative est-elle la meilleure forme de la démocratie ?

Pénélope Mavoungou

Référence:

Jean Laliberté, Réinventer la démocratie, Pour une démocratie participative sans partis politiques et sans élection, Québec, Septentrion, 2011.

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