Quand les images parlent et les mots dessinent
Composé de 25 photographies et de textes en prose et en vers, Un album de plages propose un dialogue sensible entre mots et images. Les clichés de Diane Paquin, plages désertes, reflets d’eau, fragments de ciel, corps partiels ou visages en attente, ne sont pas de simples illustrations. Ils entrent en résonance avec l’écriture d’Hébert, tantôt en accompagnement subtil, tantôt en tension, créant un écho qui déstabilise et enrichit l’expérience de lecture.
Ici, tout est question d’ambivalence : la mer est tantôt rassurante, tantôt menaçante. Le ciel oscille entre clarté et ombre. Les murs, récurrents dans le texte, apparaissent comme symboles de protection ou de chute.
Des plages comme paysages intérieurs
Les plages du Maine, évoquées dans le livre, ne sont jamais de simples lieux géographiques. Elles deviennent espaces mentaux, chambres d’écho du souvenir, métaphores de la mémoire. Le sable, l’eau, le vent, le ciel, ces éléments naturels composent ici un monde sensoriel et symbolique.
Dans le texte Jéricho, sans doute le plus puissant du recueil, selon moi, Hébert revisite la célèbre ville biblique aux murailles détruites. Mais ici, ce ne sont pas les trompettes qui font tomber les murs, ce sont les vagues :
« Tes murs tombent / château de sable / quand la marée / frappe à ta porte / avec son bélier / inlassable… »
Cette mer qui frappe, pille, repart, incarne le temps, l’oubli, mais aussi une forme de vérité nue. Les murs, du château de sable ou de l’être, tombent inévitablement. Et pourtant, la poésie ne se résigne pas : elle observe, nomme, dépose.
Une poétique du silence et de l’enfance
Dans J’étais le maître de la nuit, l’auteur nous plonge dans le rituel nocturne de l’enfance. La maison s’endort, les rires se murmurent, les voix s’éteignent :
« C’est ce silence que je voulais entendre. »
Ce silence devient alors un espace sacré, presque une prière laïque. Il contient l’intimité, la chaleur des présences, et une forme de paix intérieure difficile à dire autrement qu’en poésie.
Le recueil est traversé par une nostalgie douce, un regard à la fois lucide et tendre sur la perte, la mémoire, les petits riens qui font une vie. Même un chien, nommé Désespoir, peut apparaître comme figure poétique :
« C’était un chien nommé Désespoir / qui avait peur du noir »
En quelques mots, Hébert parvient à convoquer l’enfance, la peur, la solitude, et ce que l’humour peut avoir de profondément humain.
Un livre d’atmosphères
Lire Un album de plages, c’est entrer dans un climat, une suite d’ambiances où les sens sont convoqués un à un. Ce n’est pas un livre qu’on “dévore”, mais qu’on respire, feuillette, laisse s’imprégner.
La force du livre réside dans cette justesse des détails, cette capacité à faire ressentir sans asséner. Loin de toute grandiloquence, Hébert livre une poésie intime, fluide, poreuse, qui capte les échos du monde avec finesse.
Un album de plages est bien plus qu’un objet poétique. C’est une expérience sensorielle et émotionnelle, un voyage lent à travers des paysages extérieurs et intérieurs. Entre fragilité humaine, mémoire mouvante et puissance naturelle, ce livre touche à l’essentiel, sans bruit.
Comme la mer à marée basse. Comme un silence qu’on écoute.
Nathasha Pemba