La philosophie pour se sauver
Éric-Emmanuel Schmitt est né en France, en 1960 et c’est en 2008 qu’il a obtenu la nationalité belge. L’écrivain Franco-belge dit avoir été un adolescent rebelle qui s’offusque de certains dogmes et stéréotypes, et qui n’entend pas vivre selon les lois fixées par d’autres. Il veut donc être un esprit libre et son goût poussé pour la liberté va le conduire vers la philosophie qui lui permet de sentir lui-même. La philosophie qui a le pouvoir de déconstruire les idées reçues auxquelles il n’est pas question pour lui de se soumettre. Ses études de philosophie sont l’occasion pour lui d’alimenter son esprit critique et de se démarquer librement par les convictions et les principes qui lui sont propres.
Diplômé de l’École normale supérieure de la rue d’Ulm à Paris, il devient par la suite docteur en philosophie. Sa thèse de doctorat intitulée : « Diderot et la métaphysique », soutenue en 1987, à l’Université Paris-Sorbonne, est justement axée sur les valeurs de liberté. Il en tirera un essai en 1997, dont le titre est Diderot ou la philosophie de la séduction. Éric-Emmanuel Schmitt va notamment enseigner au Lycée militaire de Saint-Cyr ainsi qu’au Lycée de Cherbourg. Après son passage comme Assistant à l’Université de Besançon, il sera enseignant à l’Université de Chambéry où il obtiendra le grade de Maître de conférences.
Tout part du théâtre
Le théâtre occupe une place prépondérante dans le parcours d’Éric-Emmanuel Schmitt. Sa vie bascule lorsque, très jeune, sa mère l’amène dans un théâtre. Il a exactement huit ans quand il est bouleversé par cette représentation théâtrale de Cyrano de Bergerac avec Jean Marais, ce qui va créer une étincelle théâtrale chez ce gamin qui va se découvrir une véritable passion par la suite. À l’âge de seize ans, étant encore au lycée, il commence à écrire de petites pièces de théâtre, lesquelles sont mises en scène lors des activités scolaires. Il s’inspire des pièces de quelques auteurs comme Molière et va progressivement affiner sa plume.
Éric-Emmanuel Schmitt écrit sa première pièce de théâtre, La Nuit de Valognes, qui sera jouée à la Comédie des Champs-Élysées en 1991. En 1994, il publie Le Visiteur, qui sera récompensé par trois prix lors de la Nuit des Molières la même année. Il connait un vibrant succès en France mais aussi à l’international. C’est d’ailleurs ce succès qui pousse Schmitt à quitter l’enseignement pour se consacrer à part entière à l’écriture. Ce sera le début d’une prolifique carrière de dramaturge qui lui vaudra de nombreuses distinctions, comme le prestigieux Grand Prix du théâtre de l’Académie française qui a couronné l’ensemble de son œuvre en 2001.
« Le cycle de l’invisible »
Ce que Éric-Emmanuel Schmitt a appelé « Le cycle de l’invisible » est une incursion dans sa vie spirituelle. C’est un ensemble de textes qui évoquent des moments de rencontre avec la Force supérieure, lesquels moments l’ont poussé à avoir une autre perception du rapport avec l’invisible. La première rencontre survient en 1988, pendant qu’il est nouvellement diplômé en philosophie et se dit athée. Il se perd dans le désert saharien pendant une randonnée et se retrouve sans vivres et sans habits de chauffage. Ainsi, il a l’idée de s’enterrer sous le sable pour se protéger du froid et c’est pendant ce temps qu’il ressent la présence d’une Force surnaturelle. Ce moment est unique et il le décrit comme sa rencontre avec Dieu. Cela est d’ailleurs à l’origine de sa conversion. L’auteur raconte cela des décennies après, dans un texte autobiographique intitulé La Nuit de feu (Albin Michel, 2015).
Après sa première rencontre, il entreprend d’étudier les différentes traditions spirituelles. C’est ce qui a donné naissance à une série de romans et récits qui questionnent différentes spiritualités. On peut citer : Milarepa (1997) qui porte sur le bouddhisme ; Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran (2001) sur le soufisme ; Oscar et la dame rose (2002) sur le christianisme ; L’Enfant de Noé (2004) sur le judaïsme. Le plus récent de cette série, Le Défi de Jérusalem, qu’il publie en 2023, relate une autre rencontre de lui avec Dieu, lors d’un pèlerinage à Jérusalem en 2022. Ce récit autobiographique a la particularité d’avoir été postfacé par le Pape François.
Les grandes lignes d’écriture
Au-delà de la grande part qu’il consacre à la spiritualité dans ses écrits, Éric-Emmanuel Schmitt explore des thèmes aussi riches que variés. Son œuvre est essentiellement philosophique, elle questionne le monde de façon profonde. Ses livres portent sur des questions liées à la condition humaine, avec un intérêt particulier pour la liberté de l’Homme, les rapports du Moi avec l’Autre, de même qu’avec le divin. Cela amène Sofija Perovic à le comparer à Jean-Paul Sartre, en ce sens qu’ils sont « les deux grands philosophes de leurs époques qui ont trouvé le théâtre comme un moyen excellent pour exprimer leurs pensées et leurs idées philosophiques, leurs doutes et croyances (en homme et en Dieu) ».
Les écrits de l’auteur Franco-belge portent donc suffisamment sur les préoccupations existentialistes. Sauf que contrairement à Sartre qui est un Existentialiste athée, Schmitt se dit Existentialiste croyant. Il interroge la condition humaine et exprime ses angoisses ainsi que ses espoirs, avec beaucoup d’humour et une certaine légèreté. Une manière de mettre du baume sur des blessures quotidiennes et d’offrir une thérapie, le rire, à l’Homme qui est continuellement en proie à des souffrances multiples. Ses romans notamment, reviennent entre autres sur plusieurs événements et personnages historiques. Schmitt réécrit l’histoire de l’humanité à sa manière. C’est ainsi qu’il nous promène dans l’Égypte antique, la Mésopotamie, la Grèce ancienne. Il nous parle de Hitler, du mythe de Faust, des relations érotiques, de la mort – selon qu’on est chrétien ou pas.
Conclusion
Éric-Emmanuel Schmitt fait partie des auteurs francophones les plus lus et les plus représentés dans le monde. Ses œuvres, qui ont abondamment été portées à l’écran, ont reçu plusieurs prestigieuses distinctions et son riche parcours lui permet d’occuper des postes honorables dans l’espace littéraire. Depuis 2012, il est membre de l’Académie royale de la langue et littérature françaises de Belgique. Après avoir intégré le jury du Prix Goncourt en 2016, le roi Philippe l’a élevé au rang de Commandeur de l’Ordre de la Couronne.
Boris Noah