Quand Florent Couao-Zotti publiait son premier texte, Le Soleil où j’ai toujours soif (L’Harmattan) en 1995, il ne savait certainement pas qu’il serait, comme c’est présentement le cas, l’un des plus grands écrivains du Bénin et une voix importante de la littérature africaine francophone. Né en 1964 à Pobé, dans le sud-est du Bénin, Couao-Zotti est auteur des pièces de théâtre, des nouvelles, des bandes dessinées et des romans à succès qui lui ont offert le privilège de grandes récompenses littéraires. Il a notamment été récompensé par le Prix Tchicaya U Tams’i (1996), le Prix de la Francophonie de littérature pour l’enfance (1996), le Prix Ahmadou Kourouma (2010), le Prix du Salon du livre d’Abbeville (2016) et le Prix Roland-de-Jouvenel de l’Académie Française (2019).
Plusieurs cordes à son arc
Florent Raoul Couao-Zotti a en même temps été enseignant, journaliste, scénariste de bandes dessinées et écrivain. Sa décision de faire des études de Lettres modernes françaises à l’Université Nationale du Bénin est presque naturelle, au regard de l’amour pour la littérature qui dicte sa loi dans sa famille. Son père, ancien instituteur et fonctionnaire dans une compagnie de chemin de fer, est épris de littérature, tout comme certains frères de Florent qui n’arrêtent pas de débattre sur de grands auteurs dont ils lisent passionnément les œuvres. Après l’obtention de sa maîtrise en 1988 et sa sortie de l’École Normale de Porto-Novo, il voyage pour la Côte d’Ivoire avec la motivation de pouvoir trouver un poste d’enseignant de français qui lui sera plus alléchant. Mais les promesses de son ami qui l’accueille dans la ville d’Agnibilékrou vont s’avérer fausses. Couao-Zotti commence à enseigner dans un établissement de la ville, mais son salaire dérisoire ne comble nullement ses attentes. Cette aventure ne fera pas long feu.
Couao-Zotti rentre sur sa terre natale en 1990, où se prépare la Conférence nationale. Après cette Conférence nationale, un vent de liberté souffle au Bénin, le pays respire un peu plus l’air de la démocratie, tout comme dans d’autres pays d’Afrique subsaharienne qui en ont été le théâtre. C’est ainsi que Couao-Zotti se tourne vers le journalisme et se lance dans la presse privée qui s’émancipe dès lors très rapidement. Il devient chroniqueur culturel pour de nombreux journaux béninois — Tam-Tam Express et Le Bénin Nouveau entre autres —, ensuite il prend le poste de rédacteur en chef de Le Canard du Golfe, un bimensuel satirique conçu à l’image du Journal français, Le Canard enchaîné.
Pendant ce temps, Couao-Zotti continue d’enseigner. C’est en 2002 qu’il laissera l’enseignement pour se consacrer entièrement à l’écriture. Dans le même intervalle, il crée son propre journal qu’il nomme Abito. Ce journal, également satirique, ne paraîtra pas sur une longue durée. Pour cause, son financier qui a des ambitions politiques voudrait s’en servir à des fins égoïstes. Florent Couao-Zotti ne cède pas à cette pression et met fin au journal. La déception est grande, étant entendu qu’il vouait beaucoup d’ambitions à ce projet. Mais il faut tenir une autre branche pour avancer : l’entrepreneuriat culturel. Et pendant un an, il fera une formation d’entrepreneur culturel qui le conduira tout d’abord en République démocratique du Congo, ensuite en France.
Une écriture qui explore divers genres
L’écriture de Florent Couao-Zotti explore des genres littéraires divers. L’auteur béninois a publié des théâtres, des romans, des nouvelles, des bandes dessinées. Il entame sa carrière littéraire en publiant des nouvelles dans les revues – Revue du Serpent à plumes et la Revue noire notamment. Mais c’est en 1995 qu’il publie son premier texte intitulé Ce Soleil où j’ai toujours soif ou La Nuit des Anges (L’Harmattan). Dans ce théâtre, l’auteur béninois met en scène des personnages qui questionnent la démocratie dont les promesses sont faites dans plusieurs pays africains. Il va par la suite publier des œuvres théâtrales comme : La Diseuse de mal-espérance (L’Harmattan, 2001) ; Certifié sincère (Ruisseaux d’Afrique, 2004).
Depuis 1996, l’auteur béninois excelle dans la littérature pour enfants et a publié beaucoup de Bandes dessinées. Après sa série de bandes dessinées portant le titre Les Couleurs de la mémoire, il publie Charly en guerre en 2001 (Éditions Dapper). C’est une version revisitée d’Un Enfant dans la guerre (Éditions Haho) qui a été couronné par le 1er prix du Concours de l’Agence de la Francophonie de la littérature africaine pour enfants en 1996. On peut aussi citer La Sirène qui embrassait les étoiles (Édition de l’œil, 2003) et Le lance-pierres de Porto-Novo (Sarbacane, 2017). Dès 2000, il revient à l’un de ses premiers amours : la nouvelle. Il publiera notamment les recueils de nouvelles L’Homme dit fou et la mauvaise foi des hommes (Le Serpent à plumes, 2000) ; Retour de tombe (Joca seria, 2004) et Avec Poulet-bicyclette et Cie (Gallimard, 2008).
Ce sont ses romans qui feront plus parler de lui. Son premier roman, Notre pain de chaque nuit, est publié en 1998 chez Le Serpent à plumes. C’est une belle histoire d’une prostituée qui tue l’un de ses clients, un député de la république, alors qu’elle essaie de sortir de ses griffes. Elle se débarrasse de son corps avec l’aide de son ancien amant, un champion de boxe, qui continue de bruler d’amour pour elle. Mais l’entrée en jeu d’un nouvel homme politique, un député qui devient le mari de celle qu’il aime, fera basculer la vie du boxeur. Ensuite, Couao-Zotti publiera entre autres Le Cantique des cannibales (Éditions Le Serpent à plumes et Rocher, 2004) ; Les Fantômes du Brésil (Éditions Ubu, 2006) ; Si la cour du mouton est sale, ce n’est pas au cochon de le dire (Le Serpent à plumes, 2010) – c’est avec ce roman qu’il remporte le Prix Kourouma la même année. En 2014, il fait paraître La Traque de la musaraigne (Jigal). Western Tchoukoutou (Gallimard) paraît en 2018 et le roman est récompensé par le Prix Roland-de-Jouvenel de l’Académie française en 2019.
Une originalité qui fait la marque de Couao-Zotti
En 2001, Abdourahman Wabéri présentait Florent Couao-Zotti comme un « jeune écrivain protéiforme et talentueux » qu’il fait suivre et surveiller, après la publication du recueil de nouvelles L’Homme dit fou et la mauvaise foi des hommes. Il précisait que l’intérêt de l’écrivain béninois se trouve « dans les plis et les replis de son écriture. À chaque page de ce recueil, comme souvent dans ses autres livres, le lecteur reconnaîtra la griffe personnelle, la respiration singulière, le rythme tout en brisures et reprises. C’est un bonheur de lire Couao-Zotti. On y trouve des qualités d’écriture cinématographique – il a fourbi ses armes à la rude école de la BD. On ramasse à pleines mains des néologismes, des audaces grammaticales, des jeux de mots, des africanismes en veux-tu en voilà. On change souvent de registre, et parfois dans la même page, en passant de la langue pure façon Quai Conti à la langue verte des petits voyous… Des bords de Seine ou des bords du lac Nokoué. Il y a quelque chose de l’insolence dans cette écriture […] ».
En effet, c’est une certaine audace créative et un profond souffle de liberté qui composent essentiellement l’encre de la plume de Florent Couao-Zotti. C’est autour de cette cadence que se construit son originalité, laquelle se nourrit de sa volonté de créer un chemin de rencontre entre la haute sphère politique et le bas-fond béninois. Dans bon nombre de ses publications, l’auteur expose un milieu politique en proie à la médiocrité et entraine le lecteur dans les ghettos béninois où la drogue, l’alcool, la prostitution et la violence dictent leur loi. La mise en communion de ces deux classes sociales opposées laisse entrevoir l’idée d’un tout-social qui ne caractérise pas seulement la société béninoise, mais divers milieux urbains d’ici et d’ailleurs. Pour le cas d’espèce donc, il est question pour l’auteur de dévoiler la société béninoise, avec toutes ses difformités et ses injustices.
Pour cela, il utilise à dessein un langage propre aux bidonvilles de son pays et un autre, plus policé, débarrassé des vulgarités de la rue, qui est réservé à la classe des privilégiés de la société. Ainsi, les néologismes, les jeux de mots, la réinvention des formes grammaticales, l’humour et la poétisation de son écriture consolident son style et manifestent son intérêt à formuler un discours différent et novateur, un discours qui s’oppose aux mœurs qui entachent l’évolution de nos sociétés. Entre corruption, délinquance et guerre, l’écriture de Florent Couao-Zotti soulève toujours sur des préoccupations sociales. C’est pour tout cela que ses œuvres ont largement été acclamées et qu’elles sont traduites en anglais, allemand, espagnol, japonais et italien.
Boris Noah