Il n’est pas toujours aisé de savoir désigner un ou une autrice préféré(e) lorsqu’on est un grand lecteur. Si je devais n’en choisir qu’une, ce serait incontestablement la romancière nigériane Buchi Emecheta. Je l’ai découverte dans les rayons de la bibliothèque de ma ville, quand j’ai décidé de diversifier mes lectures, il y a plusieurs années de cela. Buchi Emecheta écrit ses premiers romans à Londres dans les années soixante-dix. Immigrée au Royaume-Uni et mère célibataire de cinq enfants ; ses combats quotidiens ont largement inspiré son œuvre. En effet, ses romans traitent surtout de la condition des femmes dans les sociétés africaines et dans les communautés immigrées. Décédée en 2017, elle fut une auteure prolifique dont les romans sont considérés comme des classiques de la littérature africaine.
Son roman « Citoyen de seconde zone » est, à mon avis, l’un des plus marquants de sa bibliographie. Il a été publié en 1974 et traduit en français, vingt ans plus tard, par Maurice Pagnoux.
Le roman « Citoyen de seconde zone » relate le parcours d’Adah une jeune fille Ibo, qui depuis son Nigéria natal poursuit le rêve de s’installer en Angleterre. Après le décès prématuré de son père, il n’est pas facile pour elle de continuer à étudier. Comme cela arrive souvent à de nombreux orphelins dans certains pays d’Afrique, elle se retrouve placée chez son oncle. Elle y est traitée comme une domestique. Toutefois, Adah est déterminée à poursuivre ses études et à sortir de sa condition précaire. Elle dérobe à son oncle les deux shillings que coûte l’examen d’entrée au collège de jeunes filles méthodistes. Ayant obtenu une bourse complète, elle y passe cinq heureuses années à étudier. Par la suite, Adah doit se trouver un foyer, car une jeune nigériane à cette époque ne peut pas habiter seule. Pragmatique, elle épouse Francis, un étudiant en comptabilité, incapable de payer sa dot, ce qui aura pour conséquence de rompre définitivement tout lien avec sa famille.
Si en apparence, la situation d’Adah s’améliore considérablement, dans les faits elle ne se satisfait pas de sa position vis-à-vis de sa belle-famille : des ainés qui décident de tout à leur place. Son rêve d’émigrer au Royaume-Uni pour y vivre librement avec son époux refait surface ; et elle parvient à le réaliser. Malheureusement sa nouvelle vie en Angleterre, n’a rien d’un conte de fées.
Au Royaume-Uni, Adah est confrontée à de nombreux défis tels que les difficultés pour se loger et pour travailler. Elle subit les affres du racisme et de la pauvreté. Le pire c’est qu’au lieu d’être son allié et son premier soutien dans cette lutte quotidienne, Francis se révèle être le plus vil des personnages : immature, fainéant, capricieux et violent.
« Pour lui, une femme était un être humain de deuxième classe, fait pour coucher avec à n’importe quelle heure, même pendant la journée, et, si elle refusait, pour être ramenée à la raison par des coups jusqu’à ce qu’elle cède ; pour être jetée du lit quand il en aurait fini avec elle ; pour laver ses vêtements et préparer ses repas à l’heure dite. Il n’y avait pas besoin d’avoir de conversation intelligente avec sa femme parce que vous comprenez, ça pourrait lui donner des idées. » page 252
Buchi Emecheta réussit l’exploit de nous livrer un récit parfois très dur, sans pathos qu’elle agrémente même de touches d’humour. Quant à son style d’écriture, c’est son personnage d’Adah qui en parle le mieux :
« Les mots simples sans sophistication avaient coulé abondamment de son esprit. Elle avait écrit ça comme si c’était quelqu’un qui parlait, qui parlait vite , qui ne s’arrêterait jamais » page 253
Ce roman comporte de nombreux éléments autobiographiques, car comme son héroïne Adah, Buchi Emecheta fut une femme battante et résiliente. Elle a mené de front des emplois salariés et des études importantes jusqu’au doctorat, pour subvenir aux besoins de ses cinq enfants, tout en devenant une écrivaine géniale, particulièrement inspirante. D’ailleurs, le message véhiculé tout au long du roman semble être que malgré les difficultés rencontrées, tous les espoirs sont permis et la vie vaut toujours la peine d’être vécue.
Je vous recommande la lecture de ce roman et également de tous les livres de Buchi Emecheta qui ont été traduits en français.
Ayaba