Fernand Iveton est un anti-colonialiste considéré par l’État français comme un traitre, un Blanc vendu. Mais ce qui compte pour lui, c’est le devenir de l’Algérie, le pays de son enfance. L’histoire se déroule en 1956. Ouvrier et communiste, Iveton devient membre du FLN. La mission qu’il se donne et que l’on retrouve dans les premières pages du texte, c’est de poser une bombe à l’usine où il travaille. En posant cette bombe, il veut juste marquer les esprits. C’est important que les Français et les Algériens puissent s’entendre pour vivre en paix. L’objectif étant de faire prendre conscience aux Français qu’ils sont dans l’erreur, il cherche à poser la bombe dans un local inutilisé. Il veut juste qu’on arrête la guerre. Avant même que la bombe n’explose, il sera arrêté par l’armée française. Arrêté, il subira tour à tour un interrogatoire cossu, puis une torture violente et malsaine. Torturé tantôt avec la chaise électrique, tantôt avec un fouet, tantôt humilié, Fernand est un cas d’école qui interroge inéluctablement sur les manières de respecter les droits de l’homme en 1956.
Fernand protège son crâne, en chien de fusil sur le linoléum. Une semelle heurte son oreille droite. Fous-le à poil puisqu’il ne veut pas parler. Deux agents le relèvent et, tandis qu’ils lui maintiennent les bras, un troisième défait sa ceinture puis baisse son pantalon et son slip bleu marine. Allongez-le sur le banc. Ses mains et ses pieds sont ligotés.
Ce livre a le mérite de nous faire réfléchir sur le traitement réservé à Iveton pour avoir posé une bombe dans un local inutilisé et aux traitements réservés aux terroristes d’aujourd’hui qui exterminent des vies entières, souvent sans motif particulier. C’est une comparaison que je me suis permis de faire pour comprendre que la Justice est souvent juste selon les situations, les personnes et les intérêts, mais pas toujours devant la notion de justice. Aujourd’hui, les poseurs de bombes ont droit à la nourriture. Ils ont même le droit de porter des habits sains. Ce qui était impensable à cette époque.
Jugé, puis condamné à la peine capitale, Iveton n’obtient aucune grâce. C’était à l’époque ou Guy Mollet était président de la République et François Mitterrand, Garde des Sceaux. Il est guillotiné le 11 février 1957.
Écrit sur un ton sensible, ce roman de Joseph Andras est une vraie pépite. Il y a, dans son écriture, une sorte d’enchevêtrement entre le passé, le présent et l’avenir. Un style lyrique, doux, simple et accessible. Un style qui décrit une histoire poignante et douloureuse avec un style littéraire bien précis. Cette histoire est poignante parce que certains passages révèlent l’esprit dans lequel certains résistants ont risqué leur vie lors de la guerre d’Algérie. Et douloureuse, parce qu’elle permet de rendre compte que toute guerre qui paraît libératrice laisse des tâches indélébiles. En témoigne un extrait du roman :
La mort, c’est une chose, mais l’humiliation ça rentre en dedans, sous la peau, ça pose ses petites graines de colère et vous bousille des générations entières (…) ; il n’y a pas de sang, mais c’est peut-être pire, le sang ça sèche plus vite que la honte
Andras réhabilite en quelque sorte François Iveton, un homme ordinaire, en lui donnant une histoire qui n’est pas celle d’un terroriste, mais celle d’un homme, très amoureux d’une femme ; d’un homme très amoureux de la France, sa mère patrie ; d’un homme contre le colonialisme ; d’un homme qui pense que la résistance est un droit et un devoir du citoyen.
Pour infos : Lauréat du Goncourt du Premier roman 2016 avant même la parution officielle de son livre, Joseph Andras a décliné ce prix. Il estime que sa conception de la littérature est incompatible avec la notion de compétition. Un premier roman qui semble très bien réussi.
En 2022, De nos frères blessés a été porté è l’écran.
Heidi Provencher