Enlève la nuit — Monique Proulx

Lire un livre déjà couronné de plusieurs prix, et donc de multiples critiques, peut sembler risqué. On peut se demander ce qu’il reste à dire. Cependant, adopter cette perspective revient à questionner notre propre jugement esthétique. Entrons donc dans ce texte sans préjugés ni suppositions.

Dans Enlève la nuit, Monique Proulx explore les différentes voix de l’idée de renaissance, ou ce que l’on pourrait appeler, en termes spirituels, « naître de nouveau ». Markus, le héros du roman, démontre que l’on peut renaître à tout âge. Au début de la vingtaine, il quitte la communauté juive, sa communauté d’origine et de foi. Il cherche à découvrir autre chose que ce que cet univers lui offre.

Partir peut sembler simple en théorie, mais en réalité, cela peut être plus difficile qu’on ne le pense. Appartenir à une communauté peut limiter nos possibilités, car elle tend à tout faire à notre place. Partir, c’est franchir des limites et devenir responsable. Quitter son milieu signifie s’adapter à de nouveaux codes dans un environnement inconnu. Si l’on n’est pas préparé, partir peut mener à des désillusions. Markus s’en rendra vite compte, car il manque de bases solides. Dans certains cas, partir devient une fuite définitive.

Perdu dans ce nouveau monde qu’il ne maîtrise ni ne connaît, Markus envisage de quitter définitivement le monde des vivants. Il décide de se jeter sous une voiture. Cependant, alors qu’il rejette la vie, la mort ne veut pas de lui non plus.

Comme le dit l’adage, « là où une personne meurt, un sauveur apparaît », Markus est sauvé par une main qui le tapote sur l’épaule. Ce geste redonne à Markus l’envie de vivre. Après avoir été sauvé, il constate que l’inconnu a laissé derrière lui des cahiers vierges. Markus les remplit de paroles de reconnaissance et de récits de sa vie.

Je dois vous raconter que vous m’avez sauvé la vie. Et je dois vous rendre ces beaux cahiers neufs que vous avez oubliés à la gare, la dernière fois que je vous ai vu, sans pouvoir vous parler. Les cahiers, je sais maintenant que vous les avez laissés là exprès pour moi. C’est pour cette raison que j’ai commencé à les remplir, et à imaginer ce projet fou de vous les rendre remplis de ma vie brûlante, pour vous dire merci. Ce soir-là, il y a maintenant plus de deux ans, je m’en allais mourir

.

En s’exprimant à la première personne, Markus crée une intimité et une immédiateté dans le récit. Il s’adresse directement à la personne qui l’a sauvé, renforçant ainsi le sentiment de gratitude et d’urgence. Sa reconnaissance va au-delà du geste de sauvetage physique, englobant l’inspiration de vie qu’il en a tirée. Les cahiers laissés par le sauveur symbolisent un transfert de savoir, d’inspiration et de responsabilité. Le narrateur voit ces cahiers comme un legs intentionnel qui l’incite à raconter sa propre histoire. En les remplissant, il exprime son désir de transformation, passant d’une intention de mourir à une volonté de créer et de vivre intensément. Ces cahiers deviennent un symbole de vie, de continuité et de potentiel créatif. En les remplissant, Markus redonne vie à ce qui était auparavant inerte et vide. D’une certaine manière, ce projet peut être vu comme une métaphore de la quête humaine pour trouver un sens et une valeur à l’existence à travers la création artistique ou littéraire.

Le roman de Monique Proulx ne se contente pas d’explorer le souffle de la vie comme lieu d’expression humaine ; il montre aussi comment un acte de bonté peut transformer une vie. La reconnaissance de Markus va au-delà de la gratitude superficielle ; elle incarne une transformation existentielle où il trouve un nouveau but et une nouvelle raison de vivre. La relation entre Markus et son sauveur est asymétrique, mais profondément significative. Par un geste apparemment simple, le sauveur donne à Markus non seulement la vie, mais aussi une mission. Cela peut être analysé en termes de responsabilité morale et d’influence positive qu’un individu peut avoir sur un autre.

L’expérience de Markus passe par une forme d’itinérance multiple : morale, mentale, sociale, etc. Avec le temps et la volonté de s’en sortir, il apprend à exister, à coexister et à résister. La langue comme moyen d’échange et d’intégration devient l’une de ses premières armes dans cet apprentissage de la vie. Écrire le maintient en vie.

La plume de Monique Proulx est remarquable. Le lecteur apprécie toujours le mélange de finesse, d’érudition, de moqueries habilement enveloppées, ainsi que la maîtrise de la rhétorique et le plaisir renouvelé des jeux de langage. Ce livre est un véritable bijou.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Vous aimeriez lire également:

Bar italia 90 de Mattia Scarpulla

Cette réinvention du personnage multi-identitaire dans le contexte contemporain du roman de Mattia Scarpulla, Bar Italia 90, apporte une touche d’intrigue et de subversion à l’histoire. Imaginer en quelque sorte une Virginia Woolf du XXIe siècle se tournant vers une relation amoureuse avec une femme rencontrée au Bar Italia, un lieu qui est à la

Read More

L’Aurore martyrise l’enfant – de David Ménard

La sensibilité a toujours un prix Dans ce roman paru en 2023, David Ménard nous transporte dans un récit singulier où il donne la voix à Marie-Anne Houde, célèbre pour son rôle de « femme méchante », incarnant à la fois la marâtre et la belle-mère dans l’imaginaire québécois. À travers une lettre poignante adressée à Télésphore

Read More

Voir Montauk de Sophie Dora Swan

Dans la quête de sens à travers les tourments de la maladie maternelle, une femme trouve dans la promesse d’un voyage vers Montauk une allégorie de la recherche du calme intérieur. L’écriture devient le phare éclairant la voie, où les trajets physiques se mêlent aux voyages de l’esprit, offrant ainsi un refuge de sérénité où la complexité de la relation mère-fille s’efface devant la simplicité de l’être.

Read More

POSSIBLEMENT RUBY — LISA BIRD-WILSON

Lisa Bird-Wilson, écrivaine et poète Cri-Métis, occupe le poste de PDG de l’Institut Gabriel Dumont des études autochtones, une organisation dédiée au renouvellement et au développement de la culture et de l’éducation métisses. Son premier roman, « Possiblement Ruby », marque ses débuts littéraires aux États-Unis. Elle réside actuellement à Saskatoon, au Canada. Dans ce récit captivant,

Read More

« Si j’écris, c’est pour échapper réellement à une certaine solitude et pour essayer d’attirer le regard de l’autre. […] Je cherche simplement à sortir de ma solitude et mes livres sont des mains tendues vers ceux, quels qu’ils soient, qui sont susceptibles de devenir des amis »

Articles les plus consultés
Publicité

un Cabinet de conseil juridique et fiscal basé à Ouagadougou au Burkina Faso

Devis gratuit