Je n’ai pas conservé grand-chose de mon cours de philosophie au lycée, mais je me souviens encore de nos débuts en seconde : la curiosité, le désir et la possession. Découvrir la philosophie, désirer la culture et posséder le savoir. Ce fut ma première réaction en lisant la quatrième de couverture de Moustiquaire et Krazy glue. Et… je n’ai retenu qu’un seul mot : l’impermanence. Voilà ! C’est cela l’impermanence. Et, pour revenir à la philosophie, j’ai justement pensé au panta rei. En effet, « Panta rhei » (Πάντα ῥεῖ / Pánta rheî) est une formule qui, en grec ancien, signifie : « Toutes les choses coulent » (dans le sens de « Tout passe »). Et le roi du panta rei est bel et bien le philosophe Héraclite (« tout passe et rien ne demeure », «On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve. »); comme on le dirait de André Abat-Roy que l’on pourrait ici, par association intellectuelle, appeler le poète de l’impermanence (ou du Panta rei). C’est peut-être, inconsciemment, ce que j’ai voulu retenir de ce recueil. C’est un recueil écrit avec la plus grande simplicité, avec les mots de tous les jours, mais l’auteur ne se limite pas à cette simplicité au niveau des mots. Il crée le lien avec l’existence dont la fugacité est quasi éternelle ou, disons éternelle. Bref, il nous révèle qu’en réalité le propre de l’impermanence est l’éternité. Et il le montre par des réalités de la vie quotidienne ou par l’expression de la nature, le destin… l’existence.
le monde doit reprendre son souffle
tous les jours à faire le bleu du ciel
le même bleu du bout d’oreille croquant qui dépasse
de la tuque en plein février
les fuites d’hiver ne pardonnent pas
commencent et oublient de finir
il arrive même qu’en milieu d’été,
l’hiver fuit encore
et mourir peu importe le manteau
sucré robe d’été
amer chemise d’automne
il n’y a de saison que le temps qui passe
En plus de la simplicité qui les caractérise, les poèmes de ce recueil sont humains, ancrés, voguent entre liberté et routine, réalisme et réalité. Il y a le rire, la joie, la tristesse, le regret., mais toujours dans la profondeur et parfois empreint de gravité.
Dans cette philosophie de l’impermanence, Abat-Roy mentionne les réalités existentielles comme la naissance, la mort, la vieillesse, la maternité, l’exil. Et on y retrouve aussi d’autres thématiques comme l’irruption, la diversité humaine… Le poète ne se prive pas de poser un regard circulaire sur la réalité existentielle. Il amène le lecteur un peu partout, disons là où il y a du souffle, de l’esprit et de l’éternité. Et le plus important reste ce qui est transmis. Je ne voudrais pas en rajouter plus sur ces excellents poèmes qui nous font voyager au cœur de notre propre expérience et de notre intimité. Je pense notamment à l’idée qui est présentée de la liberté à la page 11 : se faire sa place, se faire accepter.
J’ai demandé plusieurs fois à venir au monde
on ne m’a jamais répondu
j’ai fini par venir quand même
fait le tour de la maison
trouvé une porte débarrée
j’ai cogné trois fois
annoncé du vent de la gorge
je suis là
j’ai ouvert
je suis rentré
je me suis dit
prêt pas prêt j’y vais
Traités avec une plume d’un lyrisme réaliste et avec un humanisme au fait, ces poèmes font de Moustiquaire krazy glue un recueil vrai et touchant. Remarquable.
Heidi Provencher