L’enseignement, le début de tout
C’est en 1935 à Mankonongo, au sud du département du Pool, au Congo-Brazzaville, que naît Guy Menga. Il poursuit ses études primaires à l’école Saint-Joseph de Bacongo dans la ville de Brazzaville, avant d’intégrer le Collège Chaminade dans lequel il obtient son BEPC. Ce diplôme lui permet de suivre en 1956, un stage dédié à la formation des instituteurs adjoints de l’enseignement privé. Et sitôt, en 1957, il commence à enseigner à la mission catholique de Mindouli. Dans cette mission catholique, le jeune maître d’école fait la rencontre de l’Abbé Fulbert Youlou, directeur de l’école, et Alphonse Massamba-Débat, lui aussi enseignant. Les deux seront respectivement, des années après, les deux premiers présidents de l’État indépendant du Congo.
Guy Menga continue sa jeune carrière d’enseignant à Brazzaville, où il se souvient avoir retrouvé Patrice Lhoni, son premier professeur de français du collège et l’un de ses élèves devenu un célèbre footballeur : « après Mindouli, je suis affecté à Brazzaville en 1957 où je retrouve mon ancien univers de collégien et Patrice Lhoni qui y est toujours professeur de français en 6e à Chaminade dont les bâtiments jouxtent ceux de l’école primaire placée sous le contrôle des Frères marianistes. J’y tiens la classe de 7e qui regroupe les élèves venant de Bacongo puis de Poto-Poto. L’un de mes élèves, originaire de Bacongo s’appelait Nzabana Germain. Sous le pseudonyme de Jadot, il deviendra un footballeur très célèbre de l’équipe nationale congolaise. »[1]
Alors que le vent de l’indépendance commence à souffler au Congo, une nouvelle dynamique de la politique coloniale naît dans l’optique de « l’africanisation » de certains postes de responsabilités. C’est ainsi qu’en 1959, Guy Menga devient le premier directeur congolais de l’école Saint-Vincent de Poto-Poto. Un poste qu’il occupe jusqu’en mars 1961, lorsqu’il décide d’aller en France, par le biais d’un concours, pour suivre une formation d’animateur-radio. Un nouveau challenge qui lui fera gagner en notoriété.
Une influence encombrante
Guy Menga fait une formation d’un an environ à la Société de radiodiffusion de la France d’Outre-mer (SORAFOM), qui deviendra l’Office de coopération radiophonique (OCORA) dès 1962. Après cette formation, il rentre au Congo et devient animateur-journaliste pour la Radiodiffusion et Télévision congolaise (RTC) qui émet depuis Brazzaville. Rapidement, il s’impose comme une figure majeure du paysage audiovisuel congolais, ce qui ne lui fait pas que d’amis : « sans me le dire ouvertement, le régime de la République populaire du Congo gouvernant à l’ombre du drapeau rouge, souhaite vivement que je m’éloigne de l’audiovisuel public où, paraît-il, j’exerce trop d’influence »[2], confie-t-il.
Ce plein d’influence qui n’arrange pas le régime en place est inhérent à sa liberté de ton et trouve tout son sens sur son ascension médiatique. Guy Menga est d’abord promu directeur des programmes, puis occupe le poste de directeur de cette radio-télévision à la fin des années 1960. Mais le natif de Mankonongo a plein de rêves et ne compte pas s’arrêter là, d’autant plus que les opportunités ne cessent de s’ouvrir à lui. À cet effet, il bénéficie d’une bourse de l’UNESCO et repart en France en janvier 1972 pour faire un stage dans le domaine de la gestion du droit d’auteur. Cependant, un mois après, il se produira un fait qui l’obligera à rester en France : « en février 1972, au lendemain du coup d’État avorté d’Ange Diawara, alors que je suis à la SACEM (Paris), sans la moindre explication, le ministre congolais de l’Information, m’ordonne d’interrompre ce stage et de retourner sans délai au Congo. Je refuse d’obtempérer. Sanction immédiate : licenciement de la RTC et radiation de la fonction publique. Je choisis alors de demeurer en France où, au terme de mon stage, je vais reprendre à exercer mon métier d’animateur-journaliste en qualité de pigiste à RFI puis à FR 3. »[3]
Parallèlement, il s’intéresse à la presse écrite et devient rédacteur en chef adjoint de « Champion d’Afrique » et chroniqueur à « Demain l’Afrique ». À sa sortie de l’École pratique des hautes études de Paris, Guy Menga devient notamment à partir de 1974, chroniqueur à Radio France Internationale (RFI) et par ailleurs présentateur d’une émission, « Mosaïque », sur France 3. À la suite de tout, il est choisi pour diriger le département Afrique de RFI au début des années 1990.
L’écriture pour rehausser sa renommée
De l’école primaire en passant par le collège, la lecture n’a eu de cesse d’être le meilleur loisir de Guy Menga. Il se souvient d’ailleurs de tenir cette passion de son géniteur qui lui faisait lire et relire, tout comme il le faisait lui-même, les rares livres qu’il possédait. La lecture était donc devenue son passe-temps favori et son plaisir de lire décuplait au fur et à mesure qu’il avait la possibilité de se procurer les livres de son choix. Cela lui a logiquement permis d’acquérir toute la grande culture qui a marqué sa vie d’enseignant et de journaliste, et a par conséquent suscité son amour pour l’écriture.
Pour cela, l’influence qui entoure le nom de Guy Menga à une certaine époque est aussi consubstantielle à la renommée littéraire qu’il se fait dès la publication de ses premières œuvres. La Marmite de Koka-Mbala publiée en 1966 et L’Oracle, parue en 1967, obtiendront le Grand Prix du Concours interafricain en 1967, après que la première pièce de théâtre a été représentée au premier Festival des arts nègres à Dakar. Ces premières productions de l’auteur congolais deviennent quasiment des classiques du théâtre africain, elles sont mises en scène et jouées dans tant d’événements littéraires. Et pour l’occasion, Guy Menga est invité dans plusieurs pays dans le monde.
Ce succès se renforce avec la sortie de son premier roman, La Palabre stérile (roman, Éditions CLE, 1968), qui lui permet de remporter le Grand Prix Littéraire d’Afrique Noire en 1969. Et après s’ensuivent de nombreuses autres publications parmi lesquelles : Les Aventures de Moni-Mambou (roman qui parait en plusieurs tomes dès 1971, CLE/NENA) ; Les Indiscrétions du vagabond. Contes et récits du Congo (conte, Naaman, 1974) ; Kotawali (roman, NEA, 1977) ; L’Affaire du silure (récit, Edicef/NEA,1981) ; Case de Gaulle (roman, Karthala, 1984) ; Les Gens du fleuve (roman-jeunesse, Edicef, 1991) ; Le Congo : la transition escamotée (essai, L’Harmattan, 1993) ; Le Cri bilingue (poésie, tome 1, Éditions ICES, 2005) ; Bienvenu au Mbongi-théâtre (théâtre, Editions cultures croisées, tome 1, 2009) et bien plus.
Le retour au Congo
Guy Menga décide de rentrer au Congo au début des années 1990 – après vingt ans d’exil en France -, comme la plupart d’intellectuels et cadres congolais vivant hors du pays. Il est question de repenser le Congo autour de ce qui a été appelé la « Conférence nationale souveraine » et de revoir le système de gouvernance jusque-là dominé par des coups d’État militaires. Au bout de trois mois de travaux, ces assises historiques ont impliqué la mise sur pied d’une nouvelle constitution, l’adoption du multipartisme et ont donné place à l’élection d’un gouvernement de transition. Et pendant ladite élection, Guy Menga soutient André Milongo. Ce dernier, diplômé de l’ENA de Paris, est un haut fonctionnaire de la Banque mondiale revenu au Congo pour cette conférence historique.
À l’issue de l’élection, André Milongo est élu Premier ministre du gouvernement de transition. Guy Menga rentre en France après cet épisode, sans se douter de ce qui allait se passer après. En fait, c’est depuis les locaux de RFI qu’il apprend qu’il est nommé ministre de l’information et porte-parole du gouvernement, sans avoir été consulté au préalable. Il repart donc au Congo occuper ses fonctions de ministre, durant une période de transition de quelques mois, s’étalant de juin 1991 à janvier 1992. Et après cette période de transition qui lui laissera un goût amer, il va se retirer de la politique. Ainsi se définit le bref parcours d’homme politique de Guy Menga, qu’il évoque très peu dans ses prises de parole.
En effet, il est difficile pour le gouvernement de transition de mettre en œuvre les résolutions prises lors de la Conférence nationale. La présidence de la République dirigée par Denis Sassou Nguesso, le Conseil Supérieur de la République conduit par Monseigneur Ernest Kombo et le Gouvernement dont le chef est André Milongo sont chargés de conduire le Congo vers un régime démocratique à plusieurs partis politiques. Mais les trois institutions ne s’accordent pas sur de nombreux points au moment de l’exécution des décisions. La transition est donc vouée à l’échec. C’est de cet échec que parle Guy Menga dans son essai Le Congo : la transition escamotée. Certes, la transition n’a pas totalement été vaine, puisque des mois après le pays a connu sa première élection démocratique remportée par Pascal Lissouba, mais on sait également que le Congo est retombé dans ses travers d’antan, avec notamment le coup d’État ayant entrainé la guerre civile de 1997.
L’enracinement culturel
L’œuvre littéraire de Guy Menga est ancrée dans la culture congolaise. Elle se pose comme une passerelle culturelle tant pour les jeunes générations que pour les plus anciennes. Cela peut se lire à travers son choix d’écrire les livres pour jeunes, des contes et des légendes afin de garder vive la mémoire culturelle et ancestrale de sa terre natale qui lui est si chère. C’est ainsi qu’il a écrit de nombreux livres pour la jeunesse, à l’instar de Les Aventures de Moni-Mambou ; Le Cicerone de la Médina ; L’Affaire du silure ; La Brigade des Agoutis. On citera aussi son recueil de contes et de légendes intitulé Les Indiscrétions du vagabond. Et certains de ces textes ont été intégrés dans les programmes scolaires au Congo.
Bien plus, Guy Menga a écrit et traduit plusieurs de ses textes en langues congolaises, notamment en Kikôngo et en Lingala. À côté de nombreux autres encore inédits, son recueil de poésie, Le Cri bilingue, composé de poèmes en français et en kikongo-lari, sa langue maternelle, en est la parfaite illustration. Pour expliquer ce choix, il dit justement à la quatrième de couverture de ce livre : « Ma langue maternelle, le kikongo-Laadi (le Lari comme on dit dans les milieux officiels) ayant profondément pris racine en moi, il m’est impossible de la négliger. Car, c’est grâce à elle que vivre mon “kimuntu”, c’est-à-dire mon état d’être humain, et conserver l’héritage de nos ancêtres, sont demeurés du domaine du faisable. Cependant, langue étrangère, en l’occurrence le Français, m’est aussi utile. C’est grâce à elle en effet, que dans les diverses activités de ma vie, j’ai pu satisfaire et mener à bien certaines aspirations. C’est pourquoi mon cri est devenu un cri bilingue. »
Il faut dire plus amplement que l’enracinement culturel qui marque les œuvres de Guy Menga se manifeste par les thèmes abordés dont les racines se trouvent dans la tradition congolaise et africaine, et par l’usage du style oral qui s’impose comme l’élément identitaire commun à ses œuvres. Partant de là, dans une thèse soutenue en 2004 et publiée deux ans plus tard sous le titre L’enracinement culturel dans l’œuvre de Guy Menga : essai de re-contextualisation ; Victor Béry explore cette question dans son ensemble. Tout compte fait, l’enracinement culturel est pour Guy Menga « une véritable école de la vie, où il apprend les vraies valeurs fondées sur la solidarité, la fraternité et la dignité. Par son œuvre, l’auteur cherche à instruire la nouvelle génération sur le fonctionnement et surtout sur la hiérarchisation de la société dans laquelle tous les hommes doivent vivre en parfaite communion ; une société où les situations conflictuelles doivent disparaître entre jeunes et vieux, dans le dessein de fonder une nouvelle communauté conforme aux aspirations de toutes les couches sociales. »[4]
Boris Noah
[1] Interview avec Marie-Léontine Tsibinda Bilombo, publiée en mai 2020 ; (https://mltsibinda.com/2020/05/02/bikouta-menga-gaston-guy-dit-guy-menga-user-de-la-parole-pour-transmettre/).
[2] Idem.
[3] Idem.
[4] Victor Béry, L’enracinement culturel dans l’œuvre de Guy Menga : essai de re-contextualisation, Publibook, 2006.