Chimamanda Ngozi Adichie est une écrivaine nigériane de renommée internationale. Elle occupe une place particulière, car son œuvre constitue une porte d’entrée vers la littérature africaine pour de nombreux lecteurs d’horizons différents. Elle connait un succès planétaire grâce à son essai « nous sommes tous des féministes » et à son troisième roman « Americanah ». Pourtant, le livre qui selon moi lui confère véritablement son statut de très grande écrivaine est son deuxième roman intitulé « Half of a yellow sun », brillamment traduit en français par Mona de Pracontal.

Ce roman nous plonge au cœur du drame biafrais qui a laissé le monde indifférent : « Le monde s’est tu pendant que nous mourions ».  

En juillet 1967, une province du Nigéria, majoritairement peuplée par les Igbos, fait sécession. Le jeune État du Biafra choisit comme emblème un demi-soleil jaune. Durant trois années, il affronte l’État du Nigéria et ses alliés étrangers dans une guerre qui fait près d’un million de victimes, avant de disparaître.

Ce qui donne de la densité et de la profondeur à ce roman, ce sont les personnages que Chimamanda Ngozi Adichie, en fine portraitiste, a remarquablement bien construits et mis en scène. Olanna est une jeune femme issue de la bonne société igbo, elle est enseignante et vit avec Odenigbo, qui est lui aussi enseignant, dans leur ville de Nsukka. Ils ont à leur service Ugwu, un adolescent venu du village. Autour du couple gravitent plusieurs intellectuels engagés.

Le roman s’articule en deux parties. Dans la première partie, l’autrice explore les relations entre Olanna et sa jumelle Kainene. Elle met en exergue des tensions entre elles, nées de leurs différentes façons de voir le monde et de leurs sensibilités au regard des autres qui divergent. L’auteure nous relate des scènes de leurs vies quotidiennes avec beaucoup de précisions comme pour mieux nous faire ressentir les bouleversements vécus par les différents protagonistes, dans la deuxième partie du roman. Et justement, au départ, la guerre n’est qu’un concept débattu par Odenigbo et ses amis intellectuels à Nsukka. Puis elle va surgir et tous les plonger dans l’horreur, qui va d’ailleurs s’intensifier au fil des plages.

La force de ce roman c’est qu’il réussit à décrire l’impact de la grande histoire sur des trajectoires individuelles, même si ce sont celles de personnages fictifs. Ce conflit oublié ou ignoré a fait de très nombreuses victimes et L’Autre moitié du soleil leur rend magnifiquement hommage.

On peut faire une lecture géopolitique de ce roman et percevoir que l’auteure dénonce l’interventionnisme de puissances étrangères qui exacerbent les tensions dans des territoires stratégiques (le Biafra est situé dans la partie du Nigéria la plus riche en réserves pétrolières) et vont même jusqu’à s’affronter sur un terrain très éloigné de leurs propres territoires. Et pourtant le monde n’y voit qu’une guerre tribale entre ethnies rivales.

D’autre part, un lecteur averti ne passera pas à côté de la problématique de la langue qui irrigue tout le roman. Les protagonistes du récit sont Igbos et c’est une identité qui les tient à cœur : « La seule véritable identité authentique pour l’Africain, c’est la tribu. Je suis nigérian parce que l’homme blanc a créé le Nigéria et m’a donné cette identité. Je suis noir parce que l’homme blanc a construit la notion de Noir pour la rendre la plus différente possible de son blanc à lui. Mais j’étais igbo avant l’arrivée de l’homme blanc. »

La langue igbo est donc très présente dans le roman de Chimamanda Ngozi Adichie. Elle porte ainsi la marque de l’amour de l’auteure pour sa langue maternelle. Dans un univers marqué par la guerre, la langue igbo co-existe avec d’autres langues ; l’anglais, le yoruba et le haoussa, qui sont les langues des oppresseurs. La guerre du Biafra fut aussi une quête d’identité pour le peuple igbo. Cette problématique de la langue n’est pas sans rappeler les luttes actuelles menées par les défenseurs de langues africaines contre des états ou des organisations qui œuvrent pour leur disparition.

Le roman raconte le destin de femmes et d’hommes qui tentent de faire coïncider leur vie personnelle avec leurs idéaux et qui malgré l’horreur de la guerre restent fidèles à leurs valeurs.  Je vous invite à découvrir ou à relire ce chef-d’œuvre, ce sera pour vous une lecture à la fois dense, instructive et bouleversante.

Ayaba

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