Les Aquatiques d’Osvalde Lewat

Osvalde Lewat est une photographe et réalisatrice franco-camerounaise. En 2021, elle publie un premier roman magnifique grâce auquel elle obtient le Grand prix panafricain de littérature de 2022. Décerné à l’occasion de la Journée internationale de l’écrivain africain, ce prix désormais reconnu d’utilité publique promeut et prime l’œuvre des écrivains du continent africain.
Osvalde LEWAT a Paris le 2 mars 2021

Ce roman met en scène deux personnages principaux particulièrement bien construits. Katmé et Samy sont unis par une amitié indéfectible et se débattent chacun dans une quête de soi émancipatrice. Ils vivent au Zambuena, un pays imaginaire d’Afrique subsaharienne dirigé par « un vieux » depuis plusieurs décennies. Katmé est l’épouse du préfet de la capitale, Tashun Abbia. Elle a renoncé à sa carrière d’enseignante pour mener la vie confortable d’une femme entretenue, occupée à ses œuvres sociales et à l’éducation de ses deux filles. Elle soutient financièrement la carrière artistique de son ami Samy. Quant à Tashun, son époux, il est prêt à tout pour devenir gouverneur. Il ira même jusqu’à faire des secondes obsèques de sa défunte belle-mère, dont la tombe doit être déplacée, le grand coup médiatique de sa campagne électorale. L’univers social dans lequel navigue le couple Abbia est celui des riches expatriés et des barons locaux du régime corrompu du Zambuena. On découvre aussi, dans le roman, l’univers des habitants du quartier populaire des Aquatiques où Samy loue son atelier d’artiste. Les gens disparates vivant dans ce quartier ont en commun le rejet des personnes homosexuelles.

Tout bascule lorsque Samy, dénoncé par un adversaire politique de Tashun, est arrété et jeté en prison. L’amitié de son épouse avec « l’artiste homosexuel Samuel Pankeu » est un obstacle à l’ascension politique de Tashun. Katmé est sommée par son époux d’abandonner son ami à son sort. Elle ne peut pas se résoudre à une telle compromission et fera tout pour aider son « presque frère ».

Ce roman, à travers la situation de Samy, nous sensibilise sur le sort des personnes homosexuelles en Afrique, en butte avec l’homophobie hystérique et meurtrière des populations, encouragée et couverte par la loi et les institutions qui pénalisent l’homosexualité. Comme le personnage d’Ifeoma dans le roman Sous les branches de l’Udala de la Nigériane Chinelo Okparanta, Samy doit lui aussi mener un long et douloureux combat pour survivre dans un pays où l’homosexualité constitue un crime. J’ai été particulièrement marquée par ce récit d’un réalisme saisissant et du déchainement de violence inouïe qui s’est finalement abattu sur Samy. Cela m’a rappelé des scènes de violence extrême qui ont cours dans mon pays, le Bénin, lorsque la foule se saisit d’un voleur et entreprend de le brûler vif. Lorsque le pire survient, Katmé ne peut plus continuer à mener une vie conventionnelle, faite de renoncements et de lourds compromis. Par ce biais, le roman explore les rapports familiaux et sociaux autour de la question du mariage.

Le mariage au Zambuena étant moins l’affaire de deux personnes qui unissent leurs destins que de deux familles qui fusionnent, moins celle de deux individus distincts que de deux communautés qui s’allient pour n’en former plus qu’une, la dot, le mariage religieux réputant ces liens inaltérables, indéfectibles

Pour Katmé, se défaire des contraintes conjugales, familiales, sociales et politiques est un véritable parcours du combattant.

Mariée pour être la femme de quelqu’un, pour qu’on ne la traite pas de femme libre, de femme sans morale comme sa mère. Elle qui voulait tant la couronne de femme mariée, celle qui faisait au pays de toute femme adulte en âge de procréer une vraie femme, comment pouvait-elle songer, ne serait-ce qu’un instant, à s’en défaire ? »

Son introspection démontre que le premier pas de l’émancipation c’est d’abord de faire « sa révolution intime ». C’est un chemin que j’ai également emprunté dans ma vie personnelle, c’était donc bouleversant à lire. Osvalde Lewat, qui maîtrise la narration tragi-comique, décrit avec humour et tellement de justesse, les difficultés de toutes celles qui ont le courage de se dresser contre elles-mêmes et contre le groupe social tout entier pour s’extraire d’un mariage malheureux et conquérir leur liberté.

Elle a réussi à écrire un roman engagé et percutant qui éclaire sur des enjeux importants des sociétés africaines contemporaines. Je vous recommande à tous de le lire, car il est, pour moi, un énorme coup de cœur.

Ayaba

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