Bonjour Michel. Qui êtes-vous?
Je suis Québécois, originaire de Trois-Rivières, diplômé de l’Université York (bac) et de l’Université Laval (maîtrise et doctorat). Chroniqueur à Lettres québécoises de 1979 à 2007, membre du collectif de XYZ. La revue de la nouvelle depuis 1985 et directeur adjoint de la revue Université of Toronto Quarterly depuis 1994, responsable de la production en français. Aussi professeur au Département d’études françaises de l’Université de Toronto de 1993 à 2016. Je suis québéciste. De titulaire, je suis devenu émérite à la retraite en 2016. J’ai publié de très nombreux articles dits savants et nombreux livres issus de mes recherches sur le roman gothique québécois, le récit fantastique québécois et la nouvelle québécoise. Auteur d’un recueil de récits autobiographiques, dont vous avez parlé déjà en bien (merci), Sortie 182 pour Trois-Rivières (2020).
Anne Hébert, contre vents et marées. Une symbiose poético narrative. Après Sortie 182 qui est une sorte d’autobiographie, je m’attendais à vous voir publier un roman ou une œuvre poétique, mais vous voilà revenu à vos premiers amours. à votre métier en quelque sorte. Qu’est-ce qui a re-motivé cela?
Mais si elle toujours présente, mais la littérature n’intéresse plus beaucoup de gens, les journaux n’en parlent presque plus, c’est désolant, mais Anne Hébert est toujours bien présente, la preuve en est avec Le Centre Anne-Hébert de l’Université de Sherbrooke. Il y a même Les cahiers Anne-Hébert, très actifs encore. Ma réponse précédente répond au reste de la question.
Anne Hébert est considérée comme une auteure classique au Québec. Quand devient-on un classique en littérature?
Grande question! Quand une œuvre a traversé des décennies ou des siècles et qu’elle œuvre demeure appréciée par les connaisseurs et les amateurs, qu’elle est enseignée, qu’on continue de la rééditer et d’en parler, qu’elle persiste par ses qualités de toutes sortes. Ce n’est pas très sorcier.
Le poético-narratif est un style que l’on retrouve chez beaucoup d’écrivains québécois. Je pense, en passant, à Louis-Philippe Hébert ou encore à Mylène Bouchard plus proches de nous. Pour l’adopter, faut-il être à la base un poète? Est-ce un mouvement naturel?
J’ai lu l’universitaire et critique littéraire américain Afaa M. Weaver dire de ma poésie qu’elle est « La poésie n’est pas qu’une affaire de versification ni même de vers libre. De grands romanciers qui n’ont jamais publié de poésie sont à mes yeux des poètes. Il ne fait pas oublier l’origine du mot : poïen (faire). Le poète, le dramaturge, le romancier, le nouvellier est une personne qui fait. Qui fait de l’art. Aristote parlait de la poétique, l’art des formes littéraire, l’art d’écrire.
Hier, je travaillais à la classification des œuvres sur mon site et j’ai eu du mal à définir certaines catégories. Il s’agissait par exemple de classer un auteur français publié au Québec dans la littérature québécoise ou française ou bien les deux, ou un auteur africain publié en France dans la littérature africaine et pas française. En tant que spécialiste de la littérature, comment expliquez-vous cela? A-t-on besoin de cela en littérature?
Pas vraiment. Je suis de ceux qui croient, depuis que j’ai lu L’impureté de Guy Scarpetta, que l’art mélange, malaxe tout. Et c’est fort bien. Souhaitable même. Il en est de même des origines, souvent mixtes de bien des écrivains. Anne Hébert appartient autant à la littérature française que québécoise; Dany Laferrière à la littérature française. Québécoise et haïtienne. Les deux sont universels, aussi bien que Jacques Ferron, même s’il n’appartient qu’à la littérature québécoise.
Quel lecteur êtes-vous Michel? Pouvez-vous me citer dix livres incontournables de votre bibliothèque?
Je suis un lecteur boulimique qui dévore les œuvres complètes de nombreux écrivains d’ici d’ailleurs. Je me contenterai de vous donner quelques noms, mais la liste pourrait en contenir des centaines : Jacques Ferron, Balzac, Zola, Gabrielle Roy, Anne Hébert, André Carpentier, Giono, Borges, Dickens, Flaubert, Maupassant, Mauriac, Bernanos, Cocteau, Roger Martin du Gard, Léon Bloy, Louis-Philippe Hébert, etc. Je raffole des grands prosateurs, qui sont aussi de grands poètes, bien qu’en prose.
Un mot sur l’avenir de la littérature québécoise et franco-canadienne
Pas rose, avec ce qu’on dit du déclin du français même au Québec. Ça me désespère. On a l’impression (la preuve dans les Cégeps?) que trop de jeunes non seulement ne lisent pas, mais ne savent plus lire, ne comprennent même pas les trois livres qu’ils ont à lire chaque année. Si on perd la jeunesse, on est foutu. Quand j’étais au Cégep, on se passionnait pour la littérature au point d’en faire de grands spectacles. Pensez à la Nuit de la poésie dont on a réalisé un film que j’aimerais qualifier de culte, si l’on croyait encore à ce genre de choses. Sans doute que la littérature devient de plus en plus une affaire pour les happy few. Il existe aussi une littérature populaire, des courants en fantastique et en science-fiction ou en polar, chose que je vois d’un très bon œil. Il faut que les publics restreints, spécialisés et élargis continuent d’exister. Fortement. Et que la langue française reprenne du poil de la bête au Québec et au Canada. C’est la seule façon d’imaginer un bel avenir pour la littérature.
Merci Michel
C’est moi qui vous remercie Nathasha.
Propos recueillis par Nathasha Pemba, 16 juin 2021.