De père en fille : Francis et Noémie Bélime

Il y a deux ans, Francis Bélime publiait "Déraciné", une œuvre poétique dans laquelle il partageait sa vie heureuse d'homme déraciné, tirant le meilleur de deux cultures. Cette année, avec toujours les illustrations de sa fille Noémie Bélime, ses mots, à travers "Derrière les masques", relatent son expérience de la pandémie de Covid-19. Ensemble, Francis et Noémie montrent qu’au-delà de la pandémie ou de toute autre catastrophe, l’amour et l’espoir demeurent des piliers essentiels. Nathasha Pemba est allée à leur rencontre.
crédit photo : Simon Clark

Ce deuxième recueil semble être une réponse poétique à l’impact de la pandémie. Peux-tu m’en dire plus sur ce qui t’a poussé à écrire Derrière les masques ?

La longue période de pandémie et ses impacts sur les gens et la société en général ont eu un effet dévastateur. Je le compare à un choc post-traumatique qui a touché toute la planète. Je n’y ai pas échappé et en éternel optimiste, je pensais que chacun d’entre nous en ressortirait meilleur et que la société saurait être résiliente et tirer profit de ce moment difficile pour améliorer la condition des gens.

Il me semble qu’avec du recul, le constat est plutôt médiocre et j’ai eu envie de traduire mes observations (et mes états d’âme) dans un livre en pensant que les lecteurs se retrouveraient dans mes mots.

Quelle place accordes-tu à la résilience dans ta démarche d’écriture

Écrire est un moyen d’exprimer ce qui est parfois difficile à dire. Les mots permettent la verbalisation, une étape qui est essentielle dans toute démarche de résilience. Je l’ai un peu expérimenté par hasard, mais j’ai trouvé dans l’écriture poétique un cheminement et un temps de réflexion qui a été salutaire pour rebondir après la pandémie.

Comment ton écriture a-t-elle évolué depuis Déraciné ? 

Je vois que l’écriture est un processus d’amélioration continue. On ne doit jamais se satisfaire de ce que l’on a produit. Le doute est nécessaire lorsqu’on écrit et il est source de progrès. Déraciné était un premier livre et je me suis jeté à l’eau sans trop penser à la réception par les lecteurs. Quand je me suis lancé dans l’écriture de Derrière les masques, j’ai un moment été assailli par le doute et une forme de syndrome de l’imposteur. Suis-je légitime en tant qu’auteur ? Comment le livre va-t-il être reçu après les très bonnes critiques émises par les lecteurs du premier recueil ?

Il me semble, avec le doute, avoir gagné en maturité, mais je suis persuadé que j’ai encore du chemin à faire dans ce vaste monde de l’écriture… 

Comment la poésie te permet-elle d’exprimer tes doutes et tes émotions face aux événements mondiaux ou personnels?

Tes poèmes, notamment Vague d’amour et Voler, sont remplis de métaphores maritimes. Qu’est-ce qui t’attire tant dans l’image de la mer et de l’océan

Vivre à Québec, c’est côtoyer chaque jour le majestueux fleuve Saint-Laurent et ses rives qui ressemblent à un bord de mer. Alors mes longues promenades le long du fleuve m’apportent une source inépuisable d’idées quand il s’agit d’exprimer des choses en utilisant tous les symboles associés à la mer et aux océans. 

Une belle communion avec Noémie : Cette collaboration avec elle est la deuxième. Comment se passe votre travail ensemble

Si la première collaboration a été fortuite alors que Noémie m’avait proposé de créer quelques illustrations pour Déraciné, les avis unanimes des lecteurs sur l’impact émotionnel des illustrations m’ont incité à aller beaucoup plus loin pour le second recueil. Je voulais que le projet soit commun et que père et fille en soient co-auteurs.

C’est d’ailleurs Noémie qui a eu l’idée du concept de recueil illustré avec, lorsque c’était possible une fusion entre le texte et l’image. Cette collaboration a été un pur plaisir et m’a démontré tout l’impact positif d’un travail en duo en termes de créativité. Notre complicité et notre vision bigénérationnelle ont bien sûr été des atouts additionnels. 

L’illustration des poèmes influence-t-elle ta manière d’écrire, ou bien tes textes sont-ils déjà achevés avant que Noémie n’intervienne

Nous avons fait le choix de l’écriture avant l’illustration. Donc il n’y a eu aucune influence sur mon écriture, mais Noémie a ensuite pris chaque texte et a apporté dans ses illustrations son interprétation personnelle des textes. Une fois le texte et le dessin ensemble, nous nous sommes assuré que nous étions sur la même ligne de pensée avant de valider le tout.  

Dans «Voler», tu parles de liberté, de survoler le monde. Ces images évoquent une évasion intérieure. Comment définirais-tu le lien entre la poésie et la spiritualité

La spiritualité se caractérisée par une quête de sens à donner à l’existence, et un sens de la connexion avec les autres. Je crois modestement avoir réussi, avec certains poèmes de Déraciné, à toucher les lecteurs et à me rapprocher d’eux. Beaucoup m’ont témoigné s’être retrouvés dans mes écrits et avoir pu cheminer dans leur propre réflexion ou leur quête de sens au travers de mes mots. C’est en cela que je crois que la poésie, par sa justesse et sa transparence, peut inviter à une certaine spiritualité.

Comment arrives-tu à transformer le pessimisme ambiant en quelque chose de poétique et porteur d’espoir

Je suis un éternel optimiste et je voulais écrire des textes porteurs d’espoir. C’est pourquoi Derrière les masques a été structuré en 3 chapitres. Le premier aborde la COVID et les états d’âme des gens. Le second évoque les impacts (souvent négatifs) de cette période et la situation du monde et de la société dans tous ses travers. Le dernier chapitre est quant à lui plein d’optimisme. Il parle du temps qui passe, d’amour et de sentiments…

Quelle est la place de la transmission familiale dans votre œuvre, disons celle du Père à la Fille et de la Fille à la Postérité? En tant que père, que représente pour toi le fait de travailler avec ta fille sur un projet artistique?

Je ne me rends pas encore compte de l’impact qu’aura ce projet Père/fille par la suite, mais il est certain que je ressens une grande fierté d’être allé au bout de l’idée. Nous avions déjà une très belle complicité humaine et intellectuelle avec Noémie, mais je sens que cette collaboration artistique a tissé de nouveaux liens. Nous ne sommes plus seulement liés par la génétique, mais par « une œuvre commune ». 

Je souhaite vraiment à tout le monde d’avoir la chance de vivre ce genre d’expérience parent/enfant au moins une fois dans sa vie, quelle que soit la nature du projet.

À la rencontre de Noémie Bélime (Illustratrice) 

crédit photo: Fournie par l’auteure

Peux-tu nous parler de ton parcours et de ta passion pour le dessin, Noémie?

Depuis que je suis très jeune, j’ai toujours adoré dessiner. J’aimais beaucoup les activités artistiques et je m’amusais beaucoup à colorier. Ça me vient sûrement de ma famille maternelle, qui a toujours eu un fort penchant pour l’art. Mon grand-père était architecte, tandis que ma grand-mère et ma mère peignaient régulièrement. J’ai grandi dans un environnement où la créativité était valorisée. J’ai d’ailleurs poursuivi des études en design ou j’ai perfectionné mes techniques de dessin 2D et 3D et pu explorer différents médias. 

Les formes et la façon de dessiner sont spéciales. Pourquoi ces formes?

Lorsque mon père et moi avons commencé à envisager la création d’un recueil de poésies illustré, il m’a semblé naturel d’ajouter des illustrations simples. Mon intention était de trouver un équilibre, où les images compléteraient le texte sans le dominer. J’ai choisi des formes filaires en noir et blanc, car elles apportent une légèreté au dessin et accompagnent les mots tout en restant discrètes. Ainsi, chaque illustration soutient l’univers poétique sans en être le sujet principal.

Tes illustrations viennent enrichir les poèmes de ton père. Comment trouves-tu l’inspiration pour traduire en images ses mots?

Chaque poème de mon père évoque en moi une interprétation personnelle qui se transforme en images dans ma tête. Étant une personne très visuelle, je visualise constamment des scènes, même en lisant un roman. Lorsque je lis ses poèmes, des images surgissent donc naturellement. Je sélectionne ensuite celles qui traduisent le mieux le sujet ou l’émotion du texte, pour pouvoir les retranscrire sur le papier. C’est un processus créatif où les mots et les images s’entrelacent !

Par exemple, pour Voler, tu as représenté des ailes qui peuvent aussi évoquer un cœur selon le regard du lecteur. Peux-tu expliquer ta démarche créative derrière ce dessin?

Pour être honnête, mes illustrations sont avant tout ma propre interprétation des poèmes. Ce qui est fascinant, c’est que chaque lecteur peut ensuite projeter sa propre vision sur ces images. C’est vraiment la magie de la littérature et de l’art ! Dans le cas de « Voler », j’ai choisi de représenter des ailes qui symbolisent la liberté, mais cela peut évoquer bien d’autres choses : un cœur, un « V » pour « voler », ou même deux oiseaux qui s’embrassent. Chacun y voit ce qu’il veut !

Ton père et toi avez déjà collaboré sur Déraciné. Comment votre approche artistique a-t-elle évolué depuis cette première expérience?

Pour « Déracinés », notre approche était assez instinctive. Il n’y avait pas vraiment de processus défini. Mes illustrations s’étaient développées de manière organique, avec beaucoup d’essais et d’erreurs. En revanche, pour « Derrière les masques », on a pris le temps de réfléchir à ce que nous voulions vraiment créer. J’ai voulu que mes illustrations s’intègrent davantage aux textes, pour établir un équilibre entre les mots et les images. Bien que les illustrations accompagnent toujours le texte sans le dominer, notre objectif était de fusionner les lignes poétiques et les lignes dessinées de manière plus harmonieuse. On a également échangé plus en profondeur sur le choix des titres et sur ce que chaque image représentait.

Quand vous lisez les poèmes de votre père, avez-vous immédiatement une idée visuelle ou est-ce un processus plus long de réflexion et d’expérimentation?

Cela dépend vraiment des poèmes. Pour certains, l’image qui me vient à l’esprit est immédiate et évidente. Pour d’autres, j’ai parfois du mal à la traduire sur papier ou ma première itération ne me semblait pas être juste. Dans ces cas-là, mon père et moi organisions des sessions de discussion pour explorer le poème ensemble et trouver l’image qui représente le mieux l’émotion ou le sujet du texte.

Comment décrirais-tu ton style d’illustration, notamment dans ce livre?

Je décrirais mon style d’illustration comme minimaliste. J’aime jouer avec ce que j’appelle un « chaos organisé », où des lignes s’entremêlent de façon un peu abstraite pour finalement donner vie à une image très concrète. Ça permet de susciter l’imagination, tout en restant dans une esthétique épurée qui laisse de la place aux mots.

Tes dessins apportent une sensibilité particulière au texte. Quelle émotion ou quelle ambiance cherches-tu à transmettre à travers tes illustrations?

Ça dépend vraiment du poème ! Chaque texte évoque des sentiments différents. Mon objectif est de renforcer l’impact émotionnel du poème, en apportant une sensibilité qui résonne avec les mots, tout en laissant place à l’interprétation.

Que représente pour toi cette collaboration avec ton père ?Ce projet avec mon père a été une expérience super enrichissante et créative. On a eu la chance de pouvoir mêler nos talents et d’échanger sur des thèmes très intéressants tous les deux.

Avez-vous des projets que vous aimeriez encore réaliser ensemble? Peut-être une nouvelle œuvre?

Je suis très ouverte à l’idée ! On ne sait jamais ! 

La nature, notamment l’océan et le ciel, semble des motifs récurrents. Quelles sont tes sources d’inspiration pour ces représentations?

Effectivement, les éléments de la nature sont récurrents dans mes illustrations. Je pense que ce sont des éléments universels qui parlent à tout le monde. La nature a aussi cette capacité d’évoquer une multitude d’émotions et de significations. Je pense que c’est pour ça que je l’utilise souvent à travers l’ensemble du recueil.

En dehors de la collaboration avec ton père, fais-tu des tableaux ou des dessins à usage artistique ou commercial?

Oui, j’adore dessiner, mais je prends aussi plaisir à peindre. Récemment, je me suis aussi mise au crochet, ce qui est une nouvelle aventure artistique pour moi. J’aime explorer différentes activités créatives, car cela m’apaise vraiment. Pour l’instant, je le fais uniquement pour le loisir et je n’ai jamais tenté de vendre mes créations.

2 commentaires

  1. « Tout est dit »avec des mots simples mais riche en émotions… j’ai une chance inouïe de faire partie de votre famille… Je continue à vous découvrir et cette complicité entre vous témoigne votre amour… Tout est dit…. mais tout reste à dire, car vous êtes inépuisables.🩵

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