Eddy Garnier, poète de la diaspora né dans le Plateau Central d’Haïti, a consacré son œuvre à défendre les principes de justice dans une dimension universelle. Installé dans la région de l’Outaouais, il a puisé son inspiration dans les réalités de la vie quotidienne, les luttes sociales et les questionnements existentiels. Dans son dernier recueil intitulé « Rictus », publié aux Éditions Terre d’accueil, il explore avec acuité diverses thématiques sociétales, telles que les inégalités sociales, le racisme, les migrations, la condition de l’existence et l’introspection personnelle. À travers ses vers poignants, il donne sa voix aux marginaux, aux opprimés et à ceux qui luttent pour leur dignité et leur droit à une vie meilleure.
Dans une interview, Garnier souligne : Rictus, je veux dire le livre, projette l’itinéraire de la vie, d’une vie. Rictus ne raconte pas une histoire. Chaque poème est une histoire dans ses histoires. Comme nous le savons, la vie est migrante dans ses nombreuses facettes qui se vivent en même temps et successivement : les sentiments, les émotions, les hauts et les bas, les amours et les haines, les plaisirs et les déplaisirs, les naissances et les incompris inconnus. Et l’intention des six parties de Rictus ne peut que résumer la photographie d’étincelles de facettes de la vie choisies parmi la vastitude. (Eddy Garnier et Marie-Léontine Tsibinda).
Nous avons fui la misère
Pour aller nous saouler d’illusion
Nous avons fait couler la vie entière
Dans le lit de l’existence
Nous avons abandonné la lutte
Pour abreuver les fesses de l’inconnu
Et depuis qu’on a trahi la vie
Et depuis qu’on a humilié la lutte
Nous nous sommes alliés au désespoir
Pour corrompre notre propre vie
Le soleil a pris depuis longtemps son dernier envol
Il n’a plus daigné peigner la broussaille
Car il ne reste plus de sentiers
Pour abreuver les jeunes pousses rongées
Par les racines vivaces et profondes
Dans sa totalité, ce poème offre une critique poignante de la condition contemporaine, pointant du doigt les conséquences dévastatrices de la fuite de la réalité, de la trahison de soi, du déracinement identitaire et du désespoir qui en découle. Il invite le lecteur à méditer sur le sens ultime de son existence.
Le poète, en écrivant, exprime un cri d’agonie face à la condition humaine, alors que le sens se dissout dans les méandres d’un monde où la survie est une lutte éreintante. L’allégorie de la fuite hors des griffes de la misère, pour se perdre dans le labyrinthe des illusions, révèle la vaine recherche du bonheur et de la plénitude à travers des artifices éphémères et des choix de vie. L’écoulement de toute une existence dans le lit insignifiant de l’existence évoque un sentiment d’absurdité, où chaque jour semble être gaspillé dans des activités dénuées de sens.
La trahison de la vie elle-même, abandonnée pour des plaisirs fugaces, renforce le thème lancinant de la désillusion et de la perte de repères. Le désespoir devient ainsi un compagnon de voyage, une force insidieuse qui ronge l’âme et éteint toute flamme d’espoir.
L’image du soleil, ayant fait son dernier envol et ne projetant plus ses teintes sur la broussaille, évoque une atmosphère de désolation et de déréliction, où même la nature semble tourner le dos à l’humanité.
En être terriblement tourmenté
Ne jamais connaître la douce faiblesse
De se plaindre des assaillements
Avoir sans doute fait souffrir l’autre moitié
De sa rigidité de ses rêves égoïstes
Son désir ardent de se casser
Pour jouir des plaisirs de la futilité
Des plaisirs de la redondance du terre à terre
Ce segment poétique ajoute une dimension supplémentaire à la critique acérée de l’humanité précédemment exposée. Il plonge dans les profondeurs du tourment intérieur, révélant une réticence à la vulnérabilité et une difficulté à exprimer ses propres tourments. Le refus de connaître « la douce faiblesse » de se laisser aller à se plaindre des assauts suggère une résistance obstinée, peut-être teintée d’orgueil ou de peur de dévoiler ses fragilités. Cette attitude renforce l’image d’une société qui glorifie la force et la résilience, mais qui néglige trop souvent les besoins émotionnels et les peines intérieures de chacun.
L’évocation de « faire souffrir l’autre moitié » souligne la culpabilité et les répercussions de cette rigidité et de ces aspirations égocentriques. Cela met en lumière la manière dont nos propres défenses et désirs égoïstes peuvent entacher nos relations et affecter autrui.
Le désir ardent de se briser pour « jouir des plaisirs de la futilité », quant à lui, révèle une quête de sensations, voire d’autodestruction, dans une recherche vaine de divertissements superficiels qui ne sauraient remplir le vide intérieur.
Entonnoir goulot exigu
Pourtant tout y passera
Tous
Dichotomie d’inique équité
Une belle découverte !
Heidi Provencher