Pour les éditions Prise de parole, la publication d’un recueil collectif, à l’occasion de leur 50ᵉ anniversaire, est évidemment un moment spécialement mémorable. Six femmes, plusieurs façons de penser : Miriam Cusson, Yolande Jimenez, Suzanne Kemenang, Andrée Lacelle, Charlotte L’Orage, Guylaine Tousignant
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Abstraction faite des nuits fiévreuses et des angoisses existentielles (ce qui donne toute la force à la structure), la publication vaut en partie aussi pour les auteures, qui ont contribué à ce recueil, écoutant leurs cœurs, leurs yeux et leurs expériences. Il y a de l’engagement dans ce geste d’écriture qui est à la fois littéraire et humaniste. L’univers des auteures ? Un décor, celui de la vie, celui de la poésie, celui de la persévérance, celui de l’altérité, celui de l’intériorité, celui de l’éveil, celui de l’écriture.
Filant droit devant
Vers la maison de verre
Sa transparence
Au couchant
Dans le rétroviseur
Des signes chatoient
Elles tentent de décrypter
Ces chimères réelles
Seuls repères
Autant d’appels
Grises tard cette nuit-là
Elles n’écrivent pas
Elles pensent à la paix
Les mots ne viennent pas
L’une dit
La paix est une maison que traverse la lumière
L’autre dit
Je suis une maison traversée
Ce poème, intitulé Le poème seul, explore diverses thématiques en mettant en avant la réalité, l’intersubjectivité et les perceptions. La première strophe évoque un mouvement linéaire, une progression vers une destination symbolique représentée par une « maison de verre ». La transparence de cette maison peut être interprétée comme une métaphore de la clarté ou de la vérité. Image du soleil couchant, lumière contractant avec nuit évoquant une fin de journée ; fin de cycle et commencement d’une nouvelle réalité.
Certains vers du poème reflètent la difficulté à comprendre le réel. Les « chimères réelles » font penser à des aspects complexes ou illusoires de la vie, et les efforts pour les « décrypter » indiquent une quête de sens ou de compréhension. Les « repères » et « appels » suggèrent un désir de trouver des points de référence ou des réponses dans ce monde ambigu. On pense à une ambiance de fin de journée, entre fatigue et confusion. « Les mots ne viennent pas » fait penser à la difficulté de se souvenir des pensées ou des émotions. Il y a aussi une réflexion sur la paix ; la paix comme une maison traversée par la lumière, suggérant une image de clarté et de tranquillité. La deuxième voix personnalise cette image en se décrivant elle-même comme une maison traversée, ce qui pourrait être interprété comme une introspection sur son propre état d’être traversé par des expériences ou des émotions.
J’oscille devant ma valise ouverte
Tente de visualiser
Le trajet devant moi
De prévoir tout ce dont j’aurai besoin
Pour y arriver
Mais tout ce que je vois
C’est l’espace vide
Ou je peux enfoncer
N’importe quel cossin
Et me convaincre que c’est l’élément essentiel
Pour bien vivre tout ça
Je sens qu’il me manque
Quelque chose d’important
Qu’est-ce qu’il faut trainer dans ses bagages
Pour devenir
Pour être
Poète
Évoque le voyage. Sentiments et réflexions face à une valise ouverte, en train de préparer un voyage. L’image de l’oscillation suggère une indécision ou une incertitude quant à ce qu’il faut emporter. Valise ouverte symbolisant les possibilités et les choix qui s’offrent dans la vie. La suite du poème met en exergue l’effort pour planifier et anticiper les besoins du voyage à venir. Cela peut refléter un désir de préparation face à l’inconnu. Malgré les efforts de visualisation, il y a confrontation à un vide, sentiment d’incertitude ou de manque de clarté quant à ce qu’il faut prendre avec soi. Tentation de remplir l’espace vide avec n’importe quel objet, et la capacité de se convaincre que chaque objet est essentiel pour bien vivre le voyage. Cela peut refléter une tendance à surcharger ses bagages de choses superflues parfois. Sentiment de manque ou d’incomplétude, malgré les efforts pour préparer le voyage. Cela pourrait indiquer une recherche intérieure ou une quête de quelque chose de plus profond.
« Qu’est-ce qu’il faut traîner dans ses bagages/Pour devenir/Pour être/poète » ? Question finale qui révèle un désir de comprendre ce qu’il faut emporter dans la vie pour devenir un poète, ce qui peut être interprété comme une métaphore pour trouver l’inspiration, la créativité et la signification dans l’existence.
D’où viens-tu ?
Je ne saurai me soustraire à cette question
Et feindre l’amnésie
À quoi bon
Elle revient toujours
D’une manière ou d’une autre
Ce n’est pas un secret pourtant
Mon nom interpelle
La couleur de ma peau caramel
Et que dire de mon accent chantant
Oui, je suis consciente de mes origines
Elles ne sont pas d’ici
J’en suis fière et je les revendique
Et à chaque fois, je réponds avec plaisir
Je viens d’Afrique, berceau de l’humanité
Chère Afrique
Tu n’es jamais loin de mon cœur
Lorsque je parle de toi, les mots ne suffisent pas
Pour décrire toute ta splendeur
Lorsque je pense à toi
Mes entrailles vibrent
Au souvenir de nos échanges
Ce poème intitulé « Africa » exprime un profond attachement et une fierté pour les origines africaines de la narratrice. Les vers introduisent le thème de l’identité et de l’origine. La question « D’où viens-tu ? » semble inévitable et persistante, et la narratrice reconnaît qu’elle ne peut pas l’ignorer ou l’oublier. Le poème suggère un engagement à embrasser et à comprendre ses racines. Il y a, en outre, évocation des éléments visibles de l’identité de la narratrice, tels que son nom, sa couleur de peau et son accent, qui indiquent ses origines africaines. La mention de la couleur de peau « caramel » et de l’accent « chantant » souligne la beauté et la richesse de la diversité africaine : « Oui, je suis consciente de mes origines / Elles ne sont pas d’ici / J’en suis fière et je les revendique / Et à chaque fois, je réponds avec plaisir » :
En somme, le poème suggère un sentiment de connexion profonde avec l’Afrique et une volonté de la revendiquer malgré les différences culturelles ou géographiques. Ces vers expriment un amour et une reconnaissance profonds envers l’Afrique en tant que berceau de l’humanité. L’utilisation du terme « chère Afrique » souligne la nécessité émotionnelle de ce lien et la proximité affective envers le continent. Les dernières lignes évoquent une expérience émotionnelle intense lorsque la personne parle de l’Afrique ou pense à elle. Les mots semblent insuffisants pour exprimer la profondeur de l’attachement et de la fascination pour le continent, et les « entrailles qui vibrent » suggèrent une résonance émotionnelle profonde.
Sara Balogun