Il n’y a pas de précipice, seulement des rêves qui exigent trop, surtout des autres.
Clara sans majuscule est la parfaite illustration de cette phrase devenue populaire depuis quelques années : je suis fatiguée d’être une femme forte et puissante. Cette phrase n’est en fait que le reflet d’une société qui, en voulant la manipuler, a fait croire à la femme qu’elle était puissante, alors qu’en réalité, elle a le droit, elle aussi, de prendre une pause.
Le manque d’amour…
Soucieuse de l’amour à donner, elle ne s’est jamais avisée qu’elle-même pouvait en manquer. Ce pan inédit de la réalité la place au bord d’un gouffre qui lui fait peur.
Clara est une mère de famille qui survit. Elle vit aux yeux de ses enfants dont le père est parti, un père se conduisant « comme quelqu’un que la vie amuse », mais elle survit à ses propres yeux. Fatiguée, elle n’en peut plus d’être mère, d’être la super mère. Elle est désespérée et épuisée. Partir devient une urgence, un besoin, une nécessité. La France lui ouvre les bras et elle s’y jette sans remords.
Partir
Partir, ici, c’est choisir de vivre, se perdre, se retrouver, mais surtout se reconstruire et prendre soin de soi. Habiter dans un lieu différent de l’habituel : exigu, sans accessoire. Une maison faite pour une personne, tout simplement, mais une maison qui fait revivre. Faire ce que l’on aime ou ce que l’on a toujours rêvé de faire.
Écrire, un moyen de survie
Il faut avoir expérimenté la force et le sens de l’écriture pour se rendre compte qu’elle fait partie des meilleures thérapies qui puissent exister. Avec le voyage, l’écriture sera l’un des moyens qu’explorera Clara pour se guérir de sa maternité, de cette obsession : « mère incontournable et femme puissante ». Chaque mot qu’elle va écrire sera pour elle un réconfort. En écrivant, elle va à la rencontre d’elle-même pour trouver des forces qui seront comme des socles de restauration personnelle. Elle s’autorise et finit par comprendre que les « lignes droites » qui composent sa vie de même que la normalité dont elle fait toujours montre sont en réalité les pièges qui l’empêchent de jouir de sa liberté. Elle prend alors le temps de scruter chaque mot comme si c’était une parcelle de son existence.
Sur sa feuille, elle raye l’adverbe demain et le remplace par mur, pour voir ce qu’elle peut en tirer, au singulier comme au pluriel. Les expressions courantes utilisent l’un et l’autre. Au singulier, il y a : mettre au pied du mur, coller au mur, être dos au mur, se heurter à un mur, aller droit dans un mur. Au pluriel : se taper la tête contre les murs, entre quatre murs, raser les murs, les murs ont des oreilles. Les murs font mal, bloquent le chemin, mais n’empêchent pas d’être surveillés puisqu’ils ont des oreilles. On en a construit à toutes les époques, souvent en temps de guerre, pour maintenir des empires ou interdire l’accès à des territoires : le mur de Berlin, le mur entre Israël et les territoires occupés, la Grande Muraille de Chine. Les murs divisent, opposent, isolent ». Il n’y a que l’expression faire le mur qui promet un peu de rigolade, à condition, bien entendu, de ne pas être rattrapé .
Des retrouvailles
Les plus belles retrouvailles de Clara sont celles avec elle-même. Tous ceux qui la connaissent savent ou pensent qu’elle ne quittera jamais son confort de mère (maman), sa vie à Montréal ou encore son emploi pour aller ailleurs. Pourtant au cours d’une réflexion personnelle, sa propre conviction c’est qu’elle doit se rencontrer, se retrouver pour mieux être avec les autres. Quoi qu’elle fasse, elle sait que cette rencontre de soi implique un déplacement (interne ou externe). Il y a ses enfants, certes, complètement dépendants d’elle, mais il y a elle… avec l’usure, l’oubli de soi, est-elle encore capable de donner le meilleur d’elle-même ? Plus près la vie, plus près la destruction de soi. Il faut aller à la quête de soi, se retrouver, aider les autres à se retrouver et à prendre leur responsabilité.
Avec une narration fluide et maitrisée, clara sans majuscule est à la fois un roman de vie, de décision, un roman initiatique, voire philosophique, car on y assiste à l’évolution de l’état d’esprit d’une femme pour une prise de conscience vers sa libération intime. On la voit sortir de sa zone de confort, prendre ses responsabilités, s’adapter à une vie mi-bohème, mi-solitaire, mais surtout à réaliser une passion : écrire. La dimension psychologique du personnage est mise en exergue : mi-dépressive, mi anxieuse, mais décidée. L’environnement est précis. De Montréal à Paris. De Paris à Montréal.
Danièle Simpson octroie une âme, une sensibilité et un corps au personnage principal. Elle lui donne une vie et des possibilités. Un contexte et un environnement habilement bien décrits. Comme je l’ai dit plus haut, il y a de la sensibilité dans le roman, donc de l’humanité, car on ne peut pas aller vers soi lorsqu’on n’est pas humain.
Une intrigue très captivante. Une plume agréable, fluide et travaillée. Ce qui fait de ce roman une expérience particulière entre humanité, maternité, responsabilité et féminité. On comprend finalement que pour clara sans majuscule, aller à la rencontre de soi, c’est ouvrir des horizons et briser des murs, réveiller une responsabilité. In fine, peut-on imaginer une Clara heureuse sans ses enfants ? Sans son travail ou encore sans Pénélope ?
Sara Balogoun