Le feu du milieu de Touhfat Mouhtare

Touhfat Mouhtare est une femme de lettres comorienne, formée à l’université de Paris en France. Le feu du milieu est sa troisième publication.

Touhfat Mouhtare est une femme de lettres comorienne, formée à l’université de Paris en France. Le feu du milieu est sa troisième publication.

Gaillard, le personnage central du roman est une jeune servante vivant dans la ville d’Itsandra. Elle a été recueillie à sa naissance par Tamu qui est à la fois la servante et la concubine de Fundi Ahmad, son maître coranique. Descendant présumé du Prophète, Fundi Ahmad est un grand notable de la ville. Tamu est une descendante des premiers habitants des Comores qui appartenaient aux peuples swahilis de culture bantoue asservis et islamisés par des conquérants arabes. Elle est restée fidèle aux croyances originelles qu’elle essaie de transmettre tant bien que mal à sa fille adoptive. Le soir, Gaillard et ses petites amies servantes se racontent des histoires de djinns et de fantômes. Elles peuvent ainsi s’évader de leur quotidien rempli de contraintes pour gagner un monde imaginaire à la fois drôle et effrayant. Gaillard est protégée par son maître Fundi Ahmad parce qu’elle est sa meilleure élève. C’est une fille docile et obéissante, du moins en apparence. 

On découvre que Gaillard peut transgresser les règles établies lorsqu’elle rencontre Halima, une fille de maître qui a fugué pour échapper à son prochain mariage et se cache dans la forêt. Les deux jeunes filles vont se lier d’amitié et leur amitié sera d’autant plus forte qu’elle devra rester secrète. Le monde des maîtres et celui des servantes ne se mélangent pas. Halima finira par rentrer chez elle, mais non sans confier à Gaillard un dé magique qu’elle devra cacher jusqu’à leur prochaine rencontre. Il s’agit d’un abjad qui est un dé comportant normalement cinq faces et qui sert à apprendre l’alphabet arabe.

À partir de là, le roman plonge le lecteur dans une atmosphère merveilleuse et spirituelle, car les protagonistes du roman vont effectuer plusieurs voyages dans l’espace et dans le temps. Sur cet aspect, cela m’a rappelé ma lecture du roman de l’Américaine Octavia Butler Liens de sang. Son héroïneDana est une jeune afro-américaine qui se retrouve propulsée au temps de l’esclavage à partager la vie de ses ancêtres. Les voyages temporels de Dana sont violents et douloureux, pour mieux explorer les impacts du racisme et du sexisme sans doute.  Dans le roman de Touhfat Mouhtare, les voyages dans le temps des personnages sont libérateurs et leur permettent de se découvrir.

L’auteure propose ainsi un roman de formation à travers lequel on suit la quête identitaire de Gaillard.  La jeune servante devra littéralement quitter son propre corps physique pour mieux appréhender qui elle est.

À l’instar du personnage de Gaillard, ce roman pose des bases pour réfléchir sur l’inégalité entre les uns et les autres dans une société hiérarchisée entre maîtres et servants, sur la religion et sur les relations entre les hommes et les femmes. Gaillard va découvrir qu’il existe une certaine communauté de destin entre les femmes, qu’elles appartiennent à une caste sociale supérieure ou pas. Bien qu’elles viennent de milieux très différents, Halima et elle partagent la même soif de liberté. Elle apprendra que le sexisme reste une constante à travers l’espace et le temps, car les hommes régentent toujours les femmes.

Le roman social bascule au fil des pages dans un conte initiatique très spirituel qui pourrait rebuter certains lecteurs très terre à terre. L’écriture envoutante de l’auteure m’a maintenue captivée par l’intrigue et j’ai adoré être plongée dans cette atmosphère onirique entre rêve et réalité tout au long du roman jusqu’à son dénouement mystérieux. Je vous le recommande chaleureusement.

Ayaba

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Vous aimeriez lire également:

Desirada de Maryse Condé, Editions Robert Laffont, 1997

Le 2 avril 2024, Maryse Condé, autrice guadeloupéenne de renom, nous a quittés à l’âge de quatre-vingt-dix ans, laissant derrière elle un héritage littéraire monumental. En quarante-cinq années de carrière, elle a enrichi la littérature francophone de près d’une cinquantaine de récits puissants, dont les incontournables « Ségou » et « Moi, Tituba sorcière… ». Son œuvre, traduite en une quinzaine de langues, lui a valu de nombreux prix, notamment le prix Nobel alternatif de littérature en 2018. Parmi ses écrits marquants, « Desirada » explore les thèmes de l’identité et de la quête de soi à travers l’histoire de Marie-Noëlle, une héroïne en quête de ses origines et de sa place dans le monde.

Lire plus

Le continent du Tout et du presque rien de Sami Tchak

Sami Tchak est un sociologue et écrivain togolais. Il est devenu, en trente ans, une sommité du cercle des écrivains francophones reconnue dans le monde entier. Il est l’auteur d’une vingtaine d’ouvrages, des romans et des essais, dont plusieurs ont été traduits en italien, en espagnol et en allemand. En 2004, il est le lauréat du Grand prix littéraire d’Afrique noire pour son quatrième roman La fête des masques

Lire plus

Les Aquatiques d’Osvalde Lewat

Osvalde Lewat est une photographe et réalisatrice franco-camerounaise. En 2021, elle publie un premier roman magnifique grâce auquel elle obtient le Grand prix panafricain de littérature de 2022. Décerné à l’occasion de la Journée internationale de l’écrivain africain, ce prix désormais reconnu d’utilité publique promeut et prime l’œuvre des écrivains du continent africain.

Lire plus

Peine des faunes d’Annie Lulu

L’écrivaine congolaise et roumaine Annie Lulu fait en 2021, une entrée remarquable dans le cercle des écrivains francophones de talent, avec son premier roman La mer noire dans les Grands Lacs. En 2022, elle publie un deuxième roman très ambitieux, Peine des faunes, dans lequel elle mêle deux grands activismes contemporains que sont le féminisme et l’écologie. Cette écofiction est d’ailleurs finaliste du Prix du roman de l’écologie.

Lire plus

« Si on me presse de dire pourquoi je l'aimais, je sens que cela ne peut s'exprimer qu'en répondant : Parce que c'était lui, parce que c'était moi. »

Publicité

un Cabinet de conseil juridique et fiscal basé à Ouagadougou au Burkina Faso

Devis gratuit