En 2015, j’ai eu de la chance. J’ai obtenu le poste spécifique demandé. J’avais travaillé dur pendant six mois afin de réussir une certification pour enseigner le français langue étrangère auprès d’élèves migrants scolarisés dans des dispositifs conçus spécialement pour eux : les UPE2A. Les Unités Pédagogiques pour Élèves Allophones Arrivants. Lorsque j’ai contacté la direction, on m’a annoncé que j’aurais en charge l’UPE2A ENSA. ENSA pour Élèves Non Scolarisés Antérieurement. J’aurais préféré une UPE2A classique […]
L’immigration est à l’origine d’un melting-pot d’expériences, de couleurs de peau, de langues et de cultures. Chaque migrant quitte son pays pour des raisons qui ne sont forcément pas celles de l’autre : la précarité, le terrorisme, les guerres… Chacun a une histoire à raconter, un traumatisme à panser, des difficultés à surmonter. Et la terre d’accueil devient fertile de diversité à plusieurs niveaux. Elle devient un espace de rencontres et de partage. Les enseignants des Unités pédagogiques pour élèves allophones arrivants (UPE2A), acteurs majeurs du processus d’acculturation des migrants, offrent leur savoir à l’aune de la douleur du déracinement de leurs élèves. C’est ce que nous apprend Amandine Hamet dans ce livre.
Dans ce récit qui est en effet son premier livre, Amandine Hamet, partage son expérience auprès des migrants mineurs en France. Professeure de français dans une UPE2A ENSA, l’auteure française dévoile un pan de l’immigration dont on parle peu : l’immigration des enfants et leur parcours d’intégration. En faisant le récit de sa mutation dans cette UPE2A, Hamet nous plonge dans les rouages de son métier. Lequel métier conçoit-elle comme un « art du tricot » :
L’UPE2A est un tricot perpétuel : on doit changer plusieurs fois par semaine nos aiguilles, soudain tordues et inaptes à la maille, et faire gaffe à avoir un bon stock de pelotes de laine de toutes les couleurs. Pourquoi ? Parce que, pour chaque élève, tu dois créer progressivement un emploi du temps personnalisé s’il intègre un, deux ou trois cours de classe ordinaire tout en suivant les cours de français langue seconde.
Ses élèves viennent de divers horizons, de plusieurs pays africains, asiatiques, américains et européens notamment. Salimata, Fatou, Paula, Mouss, Missaya, Ahmundin, Ixi et autres ont des parcours différents et occupent chacun une place précise dans le cœur de l’enseignante. Certains apprennent plus vite que d’autres, d’aucuns sont plus doués que d’autres lorsqu’il s’agit de certaines leçons et l’intégration se fait à des rythmes différents. De manière pointilleuse et sincère, avec par moment l’usage des dates, l’auteure française égrène le chapelet des difficultés qui marquent sa vie d’enseignante responsable des migrants. Mais ces difficultés s’édulcorent en permanence par de nombreux moments de joie et la construction de souvenirs merveilleux. En témoigne ce carton des souvenirs de ses élèves qu’elle décide de garder minutieusement et d’emporter partout où elle sera mutée. L’affection qu’elle voue à ses élèves tient donc sur un fil solide, au point où la relation « enseignante-élèves » se substitue de temps à autre à celle de « mère-élèves ».
Par conséquent, travailler comme enseignante auprès des migrants mineurs allophones est certes épuisant, mais passionnant. Ce livre, Les Couleurs, est la preuve que chaque rencontre est porteuse de sens et de pouvoir qui interagit. Il y a des rencontres qui ont le pouvoir de changer une vie, aussi bien positivement que négativement. Paraissant parfois fortuites au début, certaines rencontres finissent par être déterminantes pour nous au point d’avoir parfois du mal à se détacher de l’autre. Elles nous marquent profondément, à l’instar de celle de l’enseignante du texte avec ses élèves, notamment Salimata qu’elle a du mal à oublier :
J’ai essayé, mais je n’y suis pas parvenue. Il y a des élèves à qui je n’arrive pas à dire au revoir. Je n’arrive pas à me dire que c’est une année finie, qu’il y en aura d’autres à qui je m’attacherai. Non. Parce que Salimata mord la vie à pleines dents. Je ne suis pas sûre qu’il y en ait tant. Il y a peut-être Simone Veil et Weil, George Sand, Rosa Parks, mais Salimata, faut la voir. Vous en avez tous les jours, vous, des Femen qui débarquent dans votre cabinet ? Ça ne s’oublie pas !
Boris Noah