L’expression « les villages de Dieu » désigne les cités de Port-au-Prince portant des noms d’inspiration biblique, tels que Bethléem, Puissance divine, Source Bénie entre autres. Ces cités sont plutôt des territoires du « Diable », où des membres de gangs violent, assassinent et pillent en toute impunité. Mais la violence qui y a fait son nid n’est pas seulement le fait des gangsters, elle est généralisée :
« Les femmes frappaient leurs enfants, leurs maris les frappaient, les petits se cognaient dessus, les voisins s’en mettaient plein la gueule au moindre prétexte ; des cris sortaient de partout et s’amoncelaient au-dessus de nos têtes, de gros nuages annonciateurs de catastrophes diverses, de petites fins du monde, de ruptures. » (p. 191)
Bien plus, cette violence revêt plusieurs autres aspects, tant économiques que sociaux : l’insécurité alimentaire, le rationnement de l’électricité, les coupures d’eau et le manque d’hygiène notamment. Les mœurs douteuses de certains habitants de la cité font d’une jeune fille orpheline, Célia, une proie facile pour des hommes pleins de lubricité. Cette jeune fille, l’héroïne, habite la cité de la Puissance Divine. Elle se retrouve dénuée de ressources à la mort de sa grand-mère, le seul parent qu’elle a connu. Les seules personnes disposées à l’aider ne le feront qu’en échange de faveurs sexuelles. Célia se livre alors à la prostitution pour survivre. Elle parvient ainsi à se nourrir et à acheter « un objet rêvé » : un smartphone qui deviendra son exutoire.
Dans une époque où l’on ne vit que pour voir et être vu sur les différents réseaux sociaux, Cécé la flamme, le double virtuel de Célia, deviendra une reine. Sur son compte Facebook, Célia fait la chronique de la vie des femmes de sa cité. Elle raconte les affrontements des membres des gangs pour se hisser au sommet et devenir le chef. Photographies saisissantes à l’appui, elle offre à ses followers, de plus en plus nombreux, une plongée glaçante dans un monde de violence, et ils en redemandent.
L’écriture fluide d’Emmelie Prophète rend son récit très accessible. La force et la beauté de ce texte résident en partie dans le fait qu’il oscille entre le roman et le témoignage. Tout au long de sa lecture, on est véritablement happé par la vie des personnages de la citée de la Puissance divine en général, et en particulier celle de Célia qui partage avec le lecteur des témoignages poignants.
Les villages de Dieu est un roman assez émouvant. Ses personnages, malgré tout ce qui leur arrive, restent animés par l’espoir d’une vie meilleure. Célia, à l’instar des autres femmes de la cité, parait souvent désabusée, mais jamais désespérée. Elle est ancrée dans son époque, marquée par la folie des réseaux sociaux. Si le monde réel n’a rien d’autre à lui offrir que de la misère et des larmes, le monde virtuel tant décrié, lui donne l’opportunité de sortir de la misère. Nul doute que Célia saura tirer son épingle du jeu. Certains protagonistes du monde virtuel deviennent riches et célèbres, du jour au lendemain, et c’est bien tout le mal que l’on souhaite à cette jeune héroïne.
Ayaba T.