Peine des faunes fait voyager le lecteur à travers l’espace et le temps ; de 1986 à 2047, en Tanzanie, en France et en Écosse. Son point de départ se situe en Tanzanie avec l’un de ses principaux personnages Rebecca qui quitte précipitamment son foyer pour se rendre dans son village natal, afin d’être aux côtés de sa mère Omra.
En Tanzanie où elle atterrit, les villageois sont en lutte contre une compagnie pétrolière qui veut les exproprier de leur terre ancestrale pour construire un oléoduc. Margaret, l’ainée de ses huit enfants, est alors fiancée à son ami d’enfance Jay. Son père profite de l’absence de Rebecca, pour imposer un nouveau prétendant à leur fille. Prise au piège à cause de la cupidité de son père et de la lâcheté de Jay, Margaret est contrainte d’épouser Samuel, pour éviter le déshonneur. Ce mariage marque le début de la tragédie personnelle de Rebecca, qui entraînera des répercussions sur toute sa famille, durant plusieurs générations.
Annie Lulu déroule l’histoire de cette famille tanzanienne, en se focalisant sur les femmes de la lignée de la matriarche Omra. Elle dresse de beaux portraits de ces femmes qui sont à la fois puissantes et faibles. Elle ne tombe pas dans l’écueil de les présenter uniquement comme les victimes des hommes. Ainsi, Omra rappelle que « ce sont les mères qui élèvent les tueurs » et Rebecca fustige leur inaction.
Dans le roman, un parallèle est souvent fait entre les femmes et les animaux, pour dénoncer un traitement commun. En 2047, la société dans laquelle vit Jacob, le descendant des quatre générations de femmes de cette famille, est majoritairement antispéciste. Lui-même est un grand activiste écologique et un défenseur de la cause animale. C’est à lui qu’il incombe de faire face à son aïeul « fauneur », pour mettre un point final au cycle de violence familiale démarré par le féminicide de Margaret.
Si pour certains critiques Annie Lulu aurait dû se focaliser sur un seul thème central et développer le deuxième dans un autre roman, pour ma part, j’estime que traiter de ces deux enjeux fondamentaux de notre époque dans une seule et même œuvre est un pari qu’elle a admirablement relevé. D’autant plus que l’auteure souhaite clairement nous amener à une prise de conscience sur la violence des êtres humains. Les activités d’extraction, les féminicides et le spécisme démontrent que l’être humain est à la fois violent envers la planète, envers les femmes et envers les animaux. Cette violence nous impacte tous, car elle détruit le vivant et il est urgent de s’en libérer. Il en va de la survie de l’espèce humaine et de celle de la planète que les luttes contre ces diverses formes de violence humaines convergent.
Peine des faunes est un roman intense, écrit dans une langue très poétique, qui vous poursuivra longtemps après que vous aurez tourné sa dernière page. Il suscitera chez vous beaucoup d’interrogations et forcément il m’apparait comme un support idéal à toutes les lectures communes tant il est porteur de nombreuses discussions. Je vous recommande donc de le lire à plusieurs.
Ayaba