Présents composés de Juan Joseph Ollu

Analyse littéraire

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Honneur à Juan Joseph Ollu, Présents composés, Montréal, Annika Parance Éditeur, 2020.

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ne conviction de lectrice : pour un recueil de nouvelles, c’est un coup de maître, une leçon de style, de grâce, d’imagination et de réflexions. La classe! Dispositions essentielles pour traduire les vécus des cinq personnages principaux de ce recueil. Des personnages tous marqués par l’humanité et l’humain. Humain. très humain même, entre liberté, crainte, indécision, fureur d’Être. parce qu’Être, c’est la quête de tout humain. Sans doute la trahison, le libertinage, l’émotion, l’hypocrisie, la déstabilisation. mais aussi l’amour, le choix, l’affirmation de soi. Ce qui rappelle que pour exercer le sens humain, il faut des humains faits de chair, de sang, d’eau et d’esprit, avec tout ce que cela sous-entend.

Il fallait bien que le narrateur de la nouvelle « Présent composé » soit humain pour être capable d’expérimenter l’amour dans sa plus grande expression, mais aussi dans ce qu’il peut incarner comme folie, comme légèreté. C’est ce qui m’a paru intéressant dans ce recueil. Ce talent qu’a l’auteur de mettre en lien la magnificence et le désenchantement.

Dans « Bad boy », par exemple, le culte de l’infidélité par le biais de « l’amour » est mis en exergue.

L’amour, le sexe, la tragédie, l’amitié, la trahison : des réalités qui traversent l’existence de chaque être humain et que partage la quasi-totalité des personnages du recueil. Soulignons, en passant, que ces cinq nouvelles regorgent des descriptions détaillées sur la tragédie, les lieux de l’amour, les lieux et familles, les lieux de débauche. Mais il y a aussi, dans la première nouvelle, par exemple, une description des chantiers de l’écrivain : la lecture et l’imaginaire.

Il leva les yeux, conscient soudain du monde l’entourant, mais encore sous l’influence de ce bien-être ambigu que l’on ressent lorsque l’on termine la lecture d’un roman qui nous a plu. Satisfaction, rêverie, mélancolie de quitter un monde qui se referme sur lui-même. Il soupira, but une gorgée de menthe, fit la grimace. Il se sentait indolent, inconsistant et profondément heureux d’avoir en sa possession et devant lui ce trésor inestimable : une journée de vacances, sans obligation, à vivre seul et à ne faire que ce qu’il voulait, c’est-à-dire pas grand-chose, rien de spécial : rester à la fenêtre, lire, fumer, rêver, se promener. Ne voir personne. Demain, il faudrait essayer d’écrire, se remettre sérieusement à son roman, retourner au sport, contacter ou voir des gens.

Un personnage dont les habitudes parlent d’elles-mêmes. Des descriptions fugitives, allusives, troublantes et parfois périlleuses qui nous rappellent certaines lectures comme « Humain, trop humain de Nietzsche ».

Derrière chaque histoire, on note une certaine bravoure, une vérité, une abnégation, une hypocrisie des proches, mais aussi une détermination.

« L’indécis » . l’indécision peut être une option, un choix, une manière de se positionner. Cette nouvelle, aussi simple qu’elle semble paraître, est bouleversante. Au sens physique du terme, je dirai même qu’elle est troublante, violente (sur le plan de l’émotion). Certainement parce qu’elle raconte l’histoire d’un homme qui a tout pour Être au sommet selon les critères de son entourage : une intelligence au-dessus de la moyenne, un physique à son avantage, une famille, des amis, des diplômes, devrais-je dire pour recentrer la métaphore de l’indécis dans le titre de la nouvelle. Plus sûrement parce que Juan Joseph Ollu y met du sien pour traduire ce malaise de notre modernité, de notre société. Il conduit bien son œuvre, il plonge le lecteur dans l’ivresse d’une certaine forme de réalisation de soi qui hante le père du narrateur et ses amis. Avec un diplôme en littérature et en droit, il opte pour la Construction. Deux mondes âprement opposés en apparence. Pourtant, ce qui le guide, c’est son besoin d’être lui (il voulait être différent), de se sentir vivant, de se réaliser dans ce qui lui plaît et non pas seulement d’être à la merci d’un ami parfaitement sculpté par la société : Jérôme.

Ollu ne désacralise pas ici les liens intersubjectifs ou l’humanité, mais, en mettant la question de la liberté en avant dans toutes les nouvelles, il tente de montrer le vrai visage de l’humain tel qu’il est ou tel qu’il pourrait se représenter dans un certain environnement, un humain qui peut exalter la vertu ou glorifier le vice. L’humain est celui qui accepte de vivre et de supporter, d’aimer et de trahir, de s’émanciper ou de demeurer indécis.

Nos regards se sont croisés, et le contact s’est tout de suite établi. J’ai retrouvé un sentiment familier, cette excitation si particulière aux rencontres de passage impromptues. De se laisser aller, d’emprunter une voie secondaire, des chemins de traverse, de ne penser qu’à soi, ne serait-ce que momentanément. Céder à la tentation d’un présent composé, multiple.

Sans tambour ni trompette, et avec toute l’humanité de ses personnages, Juan Joseph Ollu pose un éclairage imperturbable sur leurs vies, leurs postures, leurs idées, leurs possibilités, leurs cœurs, leurs paroles, leurs pensées individuelles ou collectives, le moindre concept se faisant révélateur.

Je suis restée très admirative devant son sens de la minutie, son style et surtout sa familiarité à manier la langue de Molière. En lisant la nouvelle « Présent composé », j’ai beaucoup pensé à Grégoire Delacourt que, curieusement, j’appelle « le Saint Joseph de la littérature française » pour son écriture intelligente, lumineuse, directe, humaine et pour sa posture discrète. On va le dire, Ollu a le sens de l’observation, car derrière une écriture très élégante sur des thématiques très humains, il nous fait voyager dans le monde des humains, tel qu’il est réellement. C’est là où se situe à mon sens le charme de ses nouvelles, écrites pour un monde avec sa grandeur et son omniprésente légèreté.


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