Analyse littéraire
Nos rédacteurs chevronnés décortiquent, décomposent, passent les ouvrages littéraires francophones au peigne fin pour observer le sens, la structure et la portée d’une parution récente ou vous font redécouvrir un grand classique.
Honneur à Daniel Castillo Durante, Tango, Ottawa, L’interligne, 2020.
L
es éditions l’Interligne viennent d’enrichir leur catalogue en publiant ce recueil de nouvelles de Daniel Castillo El Durante, intimiste, mais aussi « extimiste ». Dans les deux cas : Cette centralité autour de l’individu vrai pour ne pas dire dénudé et représenté tel qu’il est, et non pas tel qu’il devrait être. Mais aussi cette ouverture sur l’universel parce que l’être humain est un être au monde avec. Dans les deux cas, Castillo Durante fait découvrir à son lecteur non seulement des personnages orgueilleux, légers, sympathiques, profiteurs, vivants, avares, mais aussi un univers divers fondé sur une culture de la vie très précise. L’auteur nous fait voyager à Montréal, Tanger, Lima, Lisbonne, Mexico, etc. Un monde sans levure, la nouvelle qui ouvre le recueil Tango, montre bien ce qu’il y a d’irrémédiablement nécessaire dans ce monde fuyant pourtant surmédiatisé, mais devenu incommunicable dans un individualisme qui semble nous rassurer, mais qui pourtant nous rappelle l’indéboulonnable nécessité de la rencontre, de la transcendance de soi et de l’altérité. D’ailleurs, le personnage principal le démontre par son attitude envers l’argent et sa passion pour les œuvres de l’esprit. Il finit par comprendre que ce qui lui a été jadis présenté comme bonheur ne l’est pas en réalité. Il fait une rencontre qui certainement devra déterminer sa vie, bien au-delà de l’héritage familial. Comme toujours, Castillo Durante donne de la substance sur l’expérience du voyage, de l’immigration comme vécu et de la rencontre, comme engagement. Il rassemble, à partir d’un texte court, l’essentiel de ce qui fonde l’être avec : les réalités qui demeurent et les réalités qui nous échappent, comme le faisait déjà remarquer Épictète en son temps : « Il y a des choses qui dépendent de nous et d’autres qui ne dépendent pas de nous. »
Aux personnes de bonne volonté.
La volonté est une réalité. La responsabilité en est le fruit. Les deux sont des ingrédients de la relation. L’amour n’est pas une chimère. C’est une réalité, un vécu, une responsabilité. Elle n’a rien à voir avec le matériel. C’est, à mon sens, le message de la nouvelle Oraison funèbre qui met en exergue le délitement des liens familiaux à travers un père davantage intéressé par ses économies que des possibilités de vivre-ensemble que peut offrir une famille. On récolte ce qu’on sème est presque la leçon que l’on peut tirer de cette nouvelle digne de la vision de l’Avare de Molière. La leçon du fils est foudroyante : « Mourez d’abord père, et je vous le dirai après ».Le fils ne s’alarme pas et tout lui devient autorisé en face d’un père démissionnaire, avare et irresponsable n’ayant fait preuve d’aucune volonté paternelle. Il aurait voulu qu’il soit là et non qu’il lui présente un héritage à la fin de sa vie. Être là, voilà qui aurait suffi à faire son bonheur. Alors, autant vivre. C’est peut-être le côté épicurien de l’auteur, pourrait-on dire, cette espèce de regard qui recommande de profiter de la vie sans entraver la liberté d’autrui, profiter de la vie et assumer ses responsabilités. C’est, ce mélange d’apathie, de colère de la part du fils et de gravité qui renvoie de ce personnage de la dernière nouvelle, une impression étrange et presque inhumaine, qui, cependant, rappelle que l’humanité n’est pas toujours là où nous la cherchons. On retrouve cela aussi dans Le marquis de Sade n’était pas le Pérou, par exemple, qui est une nouvelle recentrant les objectifs, les intérêts et les fondements d’une relation, une barrière sociale qui empêche la réalisation d’un amour, et plus tard, un amour trop intéressé.
L’être humain habite le monde dans ses différentes facettes. La nouvelle Polygamine ramène vers la réalité de diverses manières de vivre les relations sexuelles où, parfois le plaisir ou la richesse est placée au-dessus de toute affectivité. Castillo Durante porte notre regard ici sur une réalité de l’individualisme : se satisfaire d’abord.
Assez essentielle, Du tango au Fado souligne la dimension communicante des relations humaines, mais aussi le caractère universaliste de la musique grâce à ce qu’elle a de plus commun : la mélancolie.
La mélancolie serait toujours pour moi le premier moteur de la musique du monde. Se moquant des frontières, la mélancolie est sans doute le registre universel de l’humanité.
Le narrateur de la nouvelle souligne l’importance du Tango et de toute forme de musique pour l’évolution d’une société. On y lit comme un regret de ce que devient le pays à force de crises sociales et économiques qui dépeignent le tableau d’un pays jadis paisible. Il évoque Fernando Pessoa, Le livre de l’intranquillité, lieu de sa tranquillité.
On s’imagine des vies, des citadelles à Rome, des prétextes pour s’exiler, dans son for intérieur ou ailleurs, n’importe où tant que ce n’est pas ici, et on s’aperçoit que l’ailleurs est un autre chez-soi, mais ici aussi. La vie c’est la diversité, la responsabilité, l’amour, le grain de folie, les dialogues, les paradoxes ; l’habitabilité et la vivabilité ou rien. C’est ce qui me paraît essentiel dans ce recueil.