UBUNTU

La philosophie UBUNTU ne nie pas l’autonomie ni la responsabilité individuelle. Elle modifie simplement la doctrine individualiste et consacre une individualité pour autrui : être soi et tenir compte des autres.

La philosophie UBUNTU

Umuntu ngumuntu ngabantu : Ubuntu

Une personne est une personne à travers les autres personnes

L’estime de soi est la tendance du siècle. Il faut s’aimer soi-même pour être heureux. Nous avons souvent entendu cette phrase. Pourtant, si cette idée est essentielle au bien-être personnel, elle DEMEURE incomplète, car on est heureux pour soi, mais aussi pour les autres. On est heureux seul, mais on est vraiment heureux avec les AUTRES. La confiance en soi par exemple est une bonne chose, mais elle ne trouve sa véritable réalisation que dans la confiance envers autrui. Ainsi la confiance en soi, l’autonomie individuelle et l’estime de soi doivent toujours tenir compte de notre vie relationnelle. Développer ces qualités doit toujours déboucher dans la relation avec autrui. Et c’est là qu’intervient la philosophie UBUNTU.

Bien que connaissant et utilisant parfaitement le terme UBUNTU, peu en connaissent réellement le sens et la portée. Le plus étonnant c’est que certaines personnes la considèrent comme un art de vivre qui n’a pas droit de cité dans les hautes sphères. Pourtant, Nelson Mandela ou Desmond Tutu font partie des personnalités africaines qui ont fait d’UBUNTU, le socle de leur agir, la culture, le patrimoine et la vision. En effet, UBUNTU constitue un socle de valeurs sur la conduite à tenir et sur la vie en communauté.

Le concept en lui-même…

« Le concept d’UBUNTU est l’un des aspects les plus fondamentaux d’une vie de courage, de compassion et de connexion aux autres »[1].

Le souhait ici, c’est donc de transmettre les éléments essentiels de cette culture. Cela nous permettra non seulement de comprendre ce qui a forgé le socle des valeurs des personnalités comme Mandela, mais aussi de découvrir l’importance de cette philosophie dans un monde où l’être humain est de plus en plus centré sur lui-même.

La philosophie UBUNTU cible l’essentiel : l’altérité et la responsabilité.

Cette altérité-responsabilité trouve son ancrage dans la vie individuelle comme dans la vie communautaire, en politique et dans les autres lieux de réalisation de soi.

Autrui : celui pour qui je suis

« Autrui est le médiateur indispensable entre moi et moi-même », note Jean-Paul Sartre dans l’Être et le néant. En sachant décrypter les réalités de l’existence, nous apprenons que la vie ne vaut rien sans les autres. Et aujourd’hui, dans une société hypermondialisée, hypermédiatisée ; un monde où tout bouge, mais un monde pourtant individualiste, nous avons non seulement besoin des mots de l’utopie, mais aussi de l’Autre pour une meilleure vivabilité. Nous sommes alors des « êtres avec », certes constitués indépendamment d’autrui, mais socialement dépendants d’autrui.

Le concept UBUNTU

Ubuntu est un terme zoulou et xhosa composé du préfixe abstrait ubu et de la racine lexicale ntu, personne humaine. Il synthétise l’aphorisme traditionnel « Umuntu ngumuntu ngabantu » que l’on peut traduire ainsi : « Une personne est une personne à travers les autres personnes. Autrement dit, c’est par sa relation aux autres qu’une personne s’humanise totalement[2].

Une rationalité relationnelle

L’enseignement d’UBUNTU se résume dans un proverbe : “Toute personne n’est une personne qu’à travers d’autres personnes”. Ce proverbe pose en fait la question de l’altérité qui stipule que notre relation à l’autre demeure incontournable dans notre “être au monde”. L’Autre est considéré comme le premier lieu de l’UBUNTU. Cette affirmation va, de ce fait, à l’encontre d’une conception individualiste qui est prônée dans le monde. Les êtres humains dépendent les uns des autres pour atteindre un bien-être optimal, car c’est dans le mouvement triangulaire de la dépendance ; de l’indépendance et de l’interdépendance mutuelle que l’être humain accède à la plénitude de son humanité. Ce qui permet donc de comprendre qu’UBUNTU (l’humanité) est le socle fondamental de l’altérité.

La philosophie UBUNTU à la base avait pour vocation la prise du contrepied de toute attitude et conduite déshumanisante et avilissante. C’est une philosophie qui accorde une place essentielle aux valeurs suivantes : gentillesse, compassion, respect, partage, écoute, confiance, pardon, générosité, bienveillance, attention envers autrui, etc.

Une éthique de la responsabilité

L’ÉTHIQUE Ubuntu ne se limite pas à “être avec”. Il prend en compte de “l’être pour autrui”. Les autres existent dans la communauté et cela fournit à chaque membre de la communauté, un humus inépuisable pour l’exercice de sa responsabilité. Et, en zoulou, une personne responsable est désignée par : Unobuntu. En Shona, une autre langue sud-africaine, on parle de Unohunhu. Ces désignations signifient que l’être humain est doté d’un certain sens de l’humanité, et incarne ce que signifie réellement être humain. Avoir le sens de l’humanité fait partie de l’éthique de la responsabilité portée par la famille et la communauté. Michael Gelfand l’exprime de cette manière : “Unhu provient des parents, des pratiques tribales et de l’héritage d’un passé lointain. Les parents enseignent l’Unhu à leurs enfants. L’homme bon a de l’Unhu. Il accueille les visiteurs dans sa maison où il les reçoit comme il convient de recevoir un visiteur particulier”[3].

Dans l’Ubuntu, le sens de la responsabilité repose sur la relation de l’individu avec son prochain dans la communauté. Posséder l’Ubuntu ou l’Unhu, c’est être capable de se préoccuper de la situation d’autrui sans pourtant se mépriser soi-même. La responsabilité s’entend aussi ici comme entraide et soutien présent et futur.

Il y a dans l’Ubuntu un adage populaire qui stipule : “Ton enfant est aussi mon enfant”. Cet adage qui traverse toute la culture africaine signifie que les individus sont liés entre eux et se soutiennent mutuellement en communauté. Se soutenir tient lieu de devoir moral et social. À ce sujet, Mluleki Munyaka et Mokgethi Motlhabi affirment : “La valeur d’une personne en tant qu’être humain est toujours considérée comme aussi grande que celle d’une autre. L’Ubuntu s’oppose à tout ce qui peut nuire à une personne. On ne peut s’épanouir qu’en respectant et en honorant les autres”[4].

Parce qu’il est un être responsable, l’être humain doit exister. Ainsi dans la philosophie UBUNTU, cette valeur qu’est la responsabilité doit être perpétuée, et cette perpétuation s’inscrit dans la préservation non seulement de l’humanité à travers autrui, au sein d’une communauté, mais aussi dans la préservation du cosmos. Car en réalité, UBUNTU consiste en ce que l’être humain a le devoir de prendre soin des hommes dans le futur. Ainsi, un humain est responsable, il tient compte des autres, il pose des actes en fonction des autres et prend en compte l’avenir de tous ceux qui viendront après lui.

En définitive, la philosophie UBUNTU ne nie pas l’autonomie ni la responsabilité individuelle. Elle modifie simplement la doctrine individualiste et consacre une individualité pour autrui : être soi et tenir compte des autres. La vision UBUNTU est une vision de consensus, d’inclusion, de solidarité, de réconciliation et de dialogue, d’hospitalité ; de communauté, de respect. Il est donc essentiel de la faire émerger et de l’enseigner.

UBUNTU c’est l’art de vivre-ensemble.

Pénélope Mavoungou, Ph. D.


[1] Desmond Tutu in Mungi Ngomane, UBUNTU, Je suis car tu es, Paris, Harper Collins, 2019, p. 14.

[2]Nicole KOULAYAN, mondialisation et dialogue des cultures: l’ubuntu d’Afrique du Sud https://www.cairn.info/revue-hermes-la-revue-2008-2-page-183.htm

[3] Michael Gelfand, The Genuine Shona: Survival Values of an African Culture, Gweru, Mambo Press, 1973, p. 57.

[4]Munyaka, M. et Motlhabi, M. « Ubuntu and its Socio-Moral Significance », dans M. F. Murove (éd.) African Ethics: An Anthology of Comparative and Applied Ethics, Pietermaritzburg, University of KwaZulu-Natal Press, 2009, p. 63-84.

3 commentaires

  1. Merci pour ce texte qui pointe et partage quelque chose d’essentiel pour l’humain au-delà de l’Afrique du Sud… avant d’être « un » nous fûmes d’abord « deux » biologiquement comme philosophiquement ou théologiquement. Merci Natasha

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