Bonjour Nancy, comment allez – vous ?
Je vais bien, malgré la pandémie. J’ai la chance de vivre entourée de nature, ce qui m’offre la possibilité de me ressourcer quotidiennement et j’ai aussi la chance de voir les projets qui me tiennent à cœur, se réaliser, mes projets personnels (dont le magnifique livre publié par Les éditions de la Grenouillère) aussi bien que les projets collectifs que je coordonne.
Qui êtes-vous Nancy ?
Je suis d’abord l’autrice de treize livres publiés au Québec, au Mexique et au Japon. Je suis aussi conceptrice d’événements, journaliste littéraire, médiatrice et traductrice littéraire. Je me considère comme une femme-pont parce que j’aime créer des liens entre les disciplines, entre les langues et entre les gens, par des projets d’arts participatifs. Je fais beaucoup de collaborations avec des artistes d’autres disciplines, des photographes, des artistes en arts visuels, des musiciens et des danseurs, pour intégrer mon travail dans des œuvres picturales qui font partie de l’espace public et de collections muséales, ou dans des spectacles multidisciplinaires.
J’ai présenté mon travail sur scène en tournée d’un bout à l’autre du Canada, au Japon, au Mexique, au Chili et aux États-Unis. Plusieurs de mes œuvres explorent des questions sociales ; le rapport à l’autre, la place des femmes dans la société, la transmission. L’ancrage dans la communauté et l’inclusivité sont aussi des valeurs importantes pour moi. Je suis la présidente du regroupement d’auteurs et d’artistes RAPPEL : Parole-Création que j’ai fondé il y a cinq ans pour apporter plus de dynamisme sur la scène littéraire lavalloise et laurentienne, regroupement avec lequel nous ferons, par exemple, en 2021-2022, dès que nous pourrons voyager de nouveau, des échanges de résidences littéraires avec la France.
J’ai aussi créé et dirigé, avec cet organisme, de nombreux projets collectifs autour de causes sociales qui me tiennent à cœur, comme le projet Ambassadeurs de rivières, auquel ont participé plus d’un millier de personnes et qui, jumelé à mes publications, m’a valu d’être finaliste au prix Artiste de l’année CALQ-Laval en 2020. Présentement, nous travaillons à un projet qui s’appelle Immigrants : Semeurs de possibles qui valorise l’apport des immigrants à la société.
D’où vous est venue l’idée d’écrire un livre sur les lieux et les origines ?
C’est un projet que j’ai commencé il y a dix ans, en invitant une photographe et 3 auteurs à se joindre à moi pour explorer le quartier de Sainte-Rose, où je vis la moitié du temps, à Laval, l’autre moitié se déroulant au bord d’un lac, à Saint-Hippolyte, dans les Laurentides. Je l’ai poursuivi dans le cadre d’un projet jumelant photographie et textes, à l’occasion des célébrations du 50e anniversaire de la Ville de Laval. Comme la Ville de Laval n’avait pas d’espace à m’offrir pour l’exposition, j’ai créé à la place un livre numérique avec narrations, visuels et musique intégrés, pour pouvoir présenter le projet dans son ensemble et le livre papier est venu plus tard, lorsque la Ville de Montréal a présenté l’exposition à l’occasion de l’ouverture du Festival de poésie de Montréal.
Pour ce qui est des origines, comme j’ai vécu à Laval jusqu’à l’âge de 17 ans, que mes parents y ont vécu de leur mariage à leur décès, et que mes grands-parents maternels vivaient dans les Laurentides, ce nord dont Laval était la porte d’entrée, le thème des origines est venu à travers l’exploration des lieux. J’ai donc visité mes origines à moi, mais aussi l’histoire collective et nos rapports avec l’Amérique du Sud et avec l’Espagne, que j’ai découverts à travers l’exploration des racines catholiques du Québec. Comprendre d’où je viens, comme francophone et comme femme, ce qui fait que j’ai aujourd’hui la possibilité d’être autrice, les combats que ceux et celles avant moi ont menés, ce que je souhaite léguer à ma fille comme mémoire, pour moi, c’est extrêmement important.
Tombe-t-on amoureux d’un lieu comme on tombe amoureux d’une personne ?
Je pense qu’on peut tomber amoureux d’un lieu au premier regard, oui. Ce fut le cas pour moi avec la maison où j’habite et qui m’a trouvée alors que je n’avais même pas l’intention de déménager. J’ai eu un gros coup de foudre en l’apercevant. Je pense aussi qu’on développe des liens affectifs avec les lieux où on habite, dans nos rapports quotidiens, tout comme l’amour avec une personne s’approfondit au fil de ce qu’on vit ensemble, avec le temps, dans le développement d’une histoire commune.
Quelles sont les difficultés que vous avez rencontrées dans la collecte des données et des photos pour écrire ce beau livre ?
Comme je l’ai expliqué, la naissance de ce livre vient du fait d’avoir cherché une solution pour présenter le projet dans sa globalité. Il y a aussi eu une difficulté, lors de la recherche précédant l’écriture, à trouver des données historiques. Beaucoup de choses ont disparu ou n’ont tout simplement pas été notées. Je pense que malheureusement, la ville a jugé plus important de faire moderne que de préserver son patrimoine et on ne sait que très peu de choses de notre histoire régionale. Nous sommes allés d’oblitération en oblitération, à commencer par l’histoire des Premières Nations qui ont vécu sur le territoire avant l’arrivée des premiers Européens. Pour ce qui est de la collaboration avec le photographe, elle a été magique. En revanche, le montage du livre-spectacle numérique epub3 a été très ardu. Je n’avais jamais réalisé un tel projet – je n’en ai d’ailleurs jamais vu de semblable — et cela m’a demandé énormément de recherche et d’effort. Et il a fallu faire beaucoup d’efforts par la suite pour trouver comment le diffuser.
Je pense aussi qu’on développe des liens affectifs avec les lieux où on habite, dans nos rapports quotidiens, tout comme l’amour avec une personne s’approfondit au fil de ce qu’on vit ensemble, avec le temps, dans le développement d’une histoire commune.
Les lieux… Les origines, ce sont aussi les migrations multiples, que pensez-vous de cette assertion du pape François : « Nous sommes tous des migrants ?
Étant la fille d’un père immigrant et étant moi-même mariée à un immigrant, je ne peux qu’acquiescer. Au Québec, c’est vraiment facile à saisir ; tout ce qui n’est pas Première Nation est forcement migrant de plus ou moins longue date. Et ceci est vrai de toutes les cultures qui se sont faites à partir de mélanges de cultures plus anciennes de peuples qui se sont déplacés. Cela ne signifie cependant pas qu’on doive renoncer à sa propre culture, à sa langue, par exemple. La diversité est une richesse.
Pérou, Québec… Quelle idée vous faites-vous de l’Amérique » ?
L’Amérique est une identité qu’on accepte de se faire voler chaque fois qu’on accepte que le terme « américain » soit l’équivalent d’Étasuniens. L’Amérique est un continent qui fait traverser la planète du Nord au Sud. Son identité a à voir avec un rapport à l’espace et aussi avec un inconscient collectif honteux du sort fait aux Premières Nations, sort qui se perpétue aujourd’hui. Quand on pense que plusieurs communautés autochtones n’ont pas d’eau potable, par exemple, au Canada et au Québec, c’est inacceptable.
Vous évoquez beaucoup le rêve dans votre livre, quelle est la part du rêve dans votre vie et que direz-vous aux personnes qui ne rêvent plus ?
Tout dépend de ce qui les a brisés. Peut-être ont-ils vécu des malheurs dont je n’ai aucune idée. J’ai eu la chance de réaliser mes rêves et je suis consciente de cette chance. C’est de cela que parle le premier texte de mon livre. Il parle aussi du combat des femmes qui m’ont précédée et de certains personnages historiques qui ont voulu une société plus juste et plus libre dont je suis l’héritière et où il y a encore énormément à faire. Peut-être que ceux qui ne rêvent plus ont vécu des épreuves dont il est difficile de se relever. Je crois quand même que la capacité de rêver est forte chez l’être humain. Et que surprenamment, lorsqu’on visite de l’intérieur les étoiles éteintes de nos rêves anciens, avec l’art particulièrement, il arrive qu’une lumière y renaisse. C’est ce que je leur souhaite, de tout cœur.
Merci.
Propos recueillis par Nathasha Pemba, 29 mai 2021.