À la rencontre de Chloé Savoie-Bernard

Crédit photo : Julie Artacho

« La littérature, c’est ce que je préfère. »

Avril 2017. Nous sommes au Salon International du Livre de Québec. Chaque année, j’y vais par passion, pour rencontrer des auteurs et aussi pour enrichir mon blogue. Cette année, comme toutes les autres d’ailleurs, le salon brille par sa diversité. Après avoir discuté avec Grégoire Delacourt l’écrivain français et Mylène Bouchard l’éditrice et écrivaine québécoise, je rencontre Chloé Savoie-Bernard. Elle est pleine de vie, son livre attire. Nous discutons deux minutes, j’obtiens ma dédicace et son adresse courriel pour une entrevue à venir. Je continue mon chemin.

Chloé Savoie-Savoie est doctorante en Littérature française de l’Université de Montréal. Elle fait partie du jury de présélection au prix Robert-Cliche depuis quelques années déjà. Sa thèse s’intéresse aux différentes modalités de la poésie féminine québécoise contemporaine. Auteure d’un recueil de poèmes « Royaume Scotch tape » publié en 2015, elle a publié « Des femmes savantes » en 2016 aux éditions Tryptique à Montréal, au Canada.

Bonjour Chloé! Comment allez-vous ?  

Ça va, merci.

Depuis quand écrivez-vous?

C’est sans doute un peu cliché à dire, mais j’écris depuis pas mal toujours, en fait, depuis que je sais écrire. La littérature, c’est ce que je préfère.

”Des femmes savantes” : un hymne à la féminité et à la liberté : D’où tirez-vous cette inspiration ? Pourquoi “Des femmes savantes” et non “Les femmes savantes de Molière repensé”?

Davantage qu’à Molière précisément, mon titre est un clin d’œil à l’idée que « tout se réinvente », et qu’aucun texte n’est réellement nouveau et novateur, qu’il reprend plutôt des schèmes de lectures précédentes. Je n’ai pas l’ambition de réinventer Molière, mais plutôt de déplacer, de retravailler, certaines des thématiques qu’explorait le dramaturge. Et si les femmes dépeintes par Molière étaient ridiculisées, que leur savoir n’était qu’une manière de les rendre semblables à des bêtes de cirque, le savoir que possèdent les femmes dépeintes dans ce recueil n’est pas utilisé contre elles par d’autres  : elles n’arrivent pas elles-mêmes à le comprendre, à le saisir tout à fait.

De la poésie à la nouvelle le chemin est-il long ? Ce sera quoi le prochain : Un roman, une pièce de théâtre ou un essai ?

J’ai toujours écrit des histoires, des nouvelles. La poésie est venue plus tard, au début de la vingtaine. J’ai cru pendant un instant que mon prochain livre serait un roman, mais finalement, ce sera un recueil de poésie. J’écris le roman lentement, en n’étant pas encore bien certaine de comment le former de manière cohérente.

Certaines des nouvelles de “ Des Femmes savantes” m’ont fait penser à la liberté de ton de l’Académicien Dany Laferrière (Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer) ou à Nelly Arcan (Putain); font-ils partie des auteurs qui vous inspirent ?

J’ai lu Dany Laferrière à l’adolescence et au début de la vingtaine, mais là ça fait un moment que je n’y suis pas retournée. Mon père est haïtien, je pense que je cherchais dans ces lectures à mieux comprendre son rapport à son pays d’origine, à mieux cerner ce pays que finalement, je connais assez peu. Comme n’importe quelles lectures, celles-là ont dû me façonner d’une certaine manière. Peut-être dans la mélancolie doucereuse de Dany Laferrière ? En tout cas, quand j’étais jeune, pour faire mon intéressante, je disais dans les bars qu’il était mon père, ça ne doit pas être anodin !

Nelly Arcan est une influence plus claire. Je l’aime depuis toujours. Je l’ai suivi dès Putain, son premier roman. Je lisais ses chroniques dans les journaux. Son rapport à l’écriture, à la langue, m’a marqué, plus que ce que le discours littéraire cherche à en faire, une personnalité médiatique. Pour moi, Nelly Arcan est une grande écrivaine, pas une grande suicidée.

Les femmes de vos nouvelles m’ont l’air d’appartenir à une même tranche d’âge, votre recueil s’adresse-t-il à une catégorie de femmes en particulier ?

Ça m’étonne un peu comme remarque, parce que la première nouvelle est narrée par une cégépienne, donc, elle a 17, 18 ans, tandis que celle de « Nue » a entre trente et quarante ans… Ça couvre quand même presque une vingtaine d’années. Non, pas de narratrice enfant, et non, pas de retraitée, mais je ne pense pas m’adresser à une catégorie d’âge en particulier. Quand je lis les nouvelles de Raymond Carver et que ses personnages sont des hommes blancs américains cinquantenaires, je m’y identifie quand même. La littérature dépasse ce type d’identification directe, à mon sens.

Quel est l’auteur au monde qui vous donne le plus envie de continuer à écrire ?

Ça change souvent. Dernièrement, mes coups de cœur sont les recueils de poésie de Toino Dumas, le roman de Marie Vieux-Chauvet, Amour, colère et folie, et ceux de Gwenaelle Aubry.

Votre écriture dans “Des Femmes savantes” est tranchée, sensuelle, sensible, provocatrice, crue, forte, vraie, énergique, courageuse, puissante et révolutionnaire, que représente pour vous le féminin dans la littérature contemporaine québécoise ?

Définir le « féminin » est une entreprise en soi, mais les écrivaines québécoises, ça, je pourrais en parler longtemps. Je ne lis pas que des femmes, mais j’ai un attachement pour la littérature des femmes, pour son histoire, ses luttes, ses changements d’orientation, ses questionnements, qui sont parfois différents des miens, mais toujours intéressants. Et aussi parce que ça a toujours été peut-être un de mes seuls rêves clairs, un de mes seuls espoirs possibles à circonscrire; être une écrivaine, appartenir à cette lignée-là, à cette famille-là, tout en sachant que le terme de famille n’est pas nécessairement compatible avec l’idée d’un portrait heureux.

Le monde vit une époque de lutte, de lutte contre le terrorisme, de lutte contre l’enfermement, de lutte contre la paresse, de lutte contre les stigmatisations identitaires; pensez-vous que malgré les grands discours féministes et les égalités relatives, la femme demeure esclave du regard de l’autre ?

Esclave, j’espère que non, mais enchâssée au regard de l’autre, oui, ou du moins, jusqu’à ce qu’elle en prenne conscience, et essaie de se replacer au cœur de son propre regard, à elle. Ce n’est pas une tâche facile, et ce n’est pas sa seule tâche, à elle. C’est une tâche collective, et pas seulement à penser strictement dans le cadre des rapports amoureux cis. Il faut y repenser partout à cela  : comment être en adéquation par rapport à ses propres exigences.

Êtes-vous féministe ? J’imagine que oui! Êtes-vous d’une génération de féministes tempérées et inclusives ou bien d’une génération de féministes revendicatrices et exclusives?

Féministe, oui, mais je ne sais pas à quelle génération j’appartiens. Je ne crois pas être tempérée. Je ne crois pas être exclusive. Exclusive vis-à-vis de qui, de quoi ? Et je ne suis pas militante, bien que j’admire beaucoup les militantes.

Quel avenir prédisez-vous à la littérature québécoise ?

Difficile à dire. J’aime bien penser que je suis voyante, mais je suis meilleure pour prédire les réactions des gens que pour réfléchir à des visions d’ensemble comme cela. Je ne lui prédis rien, mais je la souhaite moins médisante et plus prompte aux solidarités entre maisons d’éditions, entre générations d’écrivain. Plus ouverte vers l’extérieur. Et je souhaite aussi que la poésie soit plus lue que seulement par les poètes eux-mêmes.

Quelle est la liste des choses à faire pour être pleinement femme ?

  1. Tenter d’être le plus fidèle possible à ses désirs.

2. Tenter d’être le plus fidèle possible à ses limites.

3. Manger ce qui lui tente.

4. Regarder les plantes pousser.

Dire la femme : Racine et Liberté ?

C’est un peu difficile pour moi de répondre à cette question. Je pense qu’on peut essayer de faire ce qu’on veut, ce qu’on peut de ses racines, quitte à les réinventer dans la fiction, à les remoduler. Je ne sais pas si je crois à la liberté, mais c’est en écrivant que je me sens le plus proche de me sentir libre. Peut-être.

Propos recueillis par Nathasha Pemba, 12 juin 2017.


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