À la rencontre d’Alain Samson

« Penser le leadership postpandémie. »

Alain Samson, Photo fournie par l'agence Dola
Alain Samson, Photo fournie par l’agence Dola

Bonjour, Alain, comment allez-vous ?

Tout à fait bien. Le futur me semble brillant.

Depuis les dernières années, l’enseignement du leadership est devenu un domaine très prisé. Comment expliquez-vous cela ?

Dans une large part, c’est un contexte générationnel. Les boomers avaient davantage besoin de gestionnaires que de leaders et beaucoup de personnes ont juste appris à gérer sans mobiliser. Comme je le dis en conférence : « Les boomers vendaient du temps et étaient fiers d’annoncer qu’ils avaient fait 60 heures dans la semaine. Les milléniaux, quant à eux, vendent des résultats et, une fois le travail effectué, ils passent à d’autres aspects de leur vie.

Autre différence : le boomer s’attendait à passer sa vie avec le même employeur. Les plus jeunes sont prêts à rester deux ans. Ça prend de nouveaux réflexes pour les retenir. C’est bien plus compliqué à mobiliser.

Penser le leadership postpandémie… Pourquoi un tel titre ? Est-ce qu’une pandémie change la manière d’exercer son leadership ?

Parce que beaucoup de patrons pensent qu’ils vont simplement rappeler leurs employés qu’ils n’ont pas vus depuis un an et que la vie va reprendre comme avant. Ce n’est pas le cas. Ces employés ont changé. Ils ont goûté au télétravail et à la vie sans embouteillages. Ils maîtrisent aujourd’hui des outils qui leur paraissaient ésotériques il y a un an. Ils ont découvert le plaisir de partir une brassée de linge entre deux appels clients. Et surtout, ils ont découvert l’autonomie. Ils ne veulent plus d’un patron qui regarde par-dessus leur épaule pour regarder ce qu’ils écrivent. Passer au leadership postpandémie, c’est passer de boss des bécosses à coordonnateur hors pair.

Avez-vous vu venir la pandémie ?

Pas du tout. Ma saison était planifiée. J’avais des dizaines de contrats qui ont disparu les uns après les autres. Au début, je me suis dit que ce seraient quelques semaines à passer. Puis les semaines se sont transformées en mois…

Êtes-vous coach ? Aujourd’hui le mot coach suscite beaucoup de confusion, pouvez-vous nous dire ce que sont le rôle d’un coach et sa pertinence dans une société postpandémie ? Ses limites aussi…

J’aide les patrons à s’adapter à leur nouvelle réalité. Pour ce faire, nous explorons leurs émotions actuelles. Récemment, j’ai coaché une leader pour qui la vie était idéale avant la pandémie : elle menait son équipe au doigt et à l’œil, elle savait à quelle heure ils arrivaient au bureau et à quelles heures ils partaient. Présentement, elle fait de l’urticaire parce qu’elle ne peut plus contrôler ce qui se passe. Elle ignore ce que font ses employés à la maison.

Le coach doit poser des questions et recadrer la situation. Je lui ai demandé si le travail se faisait et si la qualité de celui-ci était aussi bonne qu’avant. Elle a dit oui. Ensuite, je lui ai dit que la pandémie n’était pas le premier changement qu’elle vivait. Elle en a listé quelques-uns. Ensuite, je lui ai expliqué qu’elle devait se préparer à des changements plus grands encore : la crise climatique et la révolution digitale.

Nous avons cherché des moyens pour qu’elle puisse mieux effectuer son travail. Parce que si celui-ci se limite à vérifier les heures qu’un employé passe devant son écran, l’intelligence artificielle la remplacera sous peu.

Quelles qualités sont essentielles ou quelles motivations sont nécessaires pour aider des gens ou des entreprises ?

Il faut avoir une vision d’ensemble des processus organisationnels et de ce qui se passe dans la tête des gens qu’on va aider. Il faut avoir à cœur de les voir réussir d’eux-mêmes et de ne pas les garder ficelés dans une relation d’aide. Le plus vite ont part et que l’entreprise fonctionne mieux, on doit être content du travail accompli.

À qui s’adresse votre livre ?

À tous ceux qui ont pour fonction de propulser le capital humain. Les grands patrons, les moyens patrons, les petits boss et les boss de bécosse… À tous ceux et celles qui souhaitent accompagner leurs gens tout en entretenant une quiétude interne qui fera en sorte qu’ils ne s’épuiseront pas à la tâche.

J’aime beaucoup le chapitre sur la nouvelle intelligence parce qu’elle met à nu certains acquis que nous pensions être les meilleurs. Avec “l’ancienne intelligence”, les personnes étaient toujours esclaves du regard de l’autre… Mais j’aime aussi l’idée de tolérance expliquée à partir de la citation de Gandhi. Est-ce votre invention ? Comment aider les gens aujourd’hui à prendre conscience de cette nouvelle intelligence ?

Au départ, le concept n’est pas de moi. Il a en partie été développé à l’Université de Virginie, mais beaucoup de chercheurs l’appellent l’intelligence collective. J’ai créé ma vision personnelle du concept au fil du temps.

Ce n’est pas facile de faire passer le message aux patrons en poste depuis très longtemps. C’est surtout quand la performance financière de leur organisation est en déclin qu’ils s’ouvrent à l’idée.

Pouvez-vous nous donner cinq outils principaux qui peuvent permettre à un leader de travailler sur lui-même ?

Oui : la quiétude intérieure, l’authenticité, le courage, l’apprentissage continu et la quête du « flow ». Il faut également avoir l’humilité nécessaire pour le reconnaître si on n’est pas dans le bon emploi.

Le budget nécessaire pour se procurer ces outils ? Zéro. Il faut juste miser sur la discipline et les efforts.

Quelle différence faites-vous entre leadership, management et gestion ?

Pour moi, les mots management et gestion sont synonymes. C’est la capacité de mener les projets offerts par les leaders en planifiant, organisant, dirigeant et contrôlant.

Le leadership, c’est la capacité de communiquer aux gens le portrait d’un futur souhaitable à réaliser ensemble. On ne peut plus se contenter d’être un simple gestionnaire aujourd’hui. Tout comme on ne peut pas se dire que nos employés seront nécessairement avec nous pendant des décennies. C’est à nous d’attiser la flamme.

Quelles sont selon vous les opportunités qu’un leader doit saisir en contexte de crise ?

Il doit communiquer, communiquer et communiquer. Laissés dans l’ignorance, les gens s’imaginent le pire, figent et cessent de s’investir. Ils envoient leur CV ailleurs. De plus, il lui faut rester positif en misant sur l’intelligence collective. Au lieu de crier que c’est la fin du monde, il doit demander aux autres quelles sont les belles possibilités que cette nouvelle situation ouvre.

Naît-on leader ?

Non. On le devient au fil des succès et des erreurs. Souvent, pour passer au niveau supérieur, on a besoin d’un recadrage.

L’humilité… Un mot presque religieux. Parlons-en. Quel est le contenu que vous mettez dans l’humilité en partant des exemples ?

Quand on a une vision verticale de l’organisation, et qu’on figure plus haut dans la pyramide, il peut être tentant de s’imaginer qu’on en sait plus que les autres et qu’il ne sert à rien de tendre l’oreille et d’écouter leurs suggestions. 

Un des impacts de l’humilité, c’est qu’elle nous amène à développer une vision horizontale de l’organisation, une vision égalitaire. Une vision nécessaire dans un monde de plus en plus imprévisible. Ce n’est pas pour rien que Peterson et Seligman l’ont inclus dans leur anti-DSM en avançant que c’était un indice de grande santé mentale.

Le mot de la fin ?

Mis à part l’affection et le respect que les gens vous portent, ce qui a fait votre succès par le passé n’est pas ce qui y contribuera à l’avenir. Nous sommes constamment en reconstruction. Aussi, bien embrasser le changement que de le bouder en se disant qu’il finira bien par passer.

Merci.

Propos recueillis par Nathasha Pemba, 15 mai 2021.


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