Les peuples autochtones croient que des liens de filiation existent entre toutes les choses
Originaire de la nation Muscowpetung Saulteaux, Blair Stonechild est professeur d’études autochtones à l’Université des Premières Nations du Canada. Il a écrit deux livres : The Knowledge Seeker – Embracing Indigenous Spirituality (2016) et Loss of Indigenous Eden and the Fall of Spirituality (2020). L’essentiel de sa pensée a contribué à expliquer comment la spiritualité autochtone a été absolument pillée aux peuples autochtones. Sa profonde connaissance de sa culture l’a amené à publier cette année un essai sur la spiritualité autochtone aux Éditions Hashtag.
Au commencement est la spiritualité
Ce qui fait la force d’une nation, c’est sa culture souvent fondée sur une tradition qui a un ancrage spirituel ou simplement moral. L’auteur le précise bien dans son introduction : “J’espère que ce livre contribuera au rétablissement de la spiritualité autochtone”.
Blair Stonechild est un témoin qui a rang de sage, parce que son expérience hors du commun et son ancienneté les lui confèrent. Il est par ailleurs reconnu par sa communauté comme “gardien du savoir”. Dans son livre, il définit l’Aîné comme étant “une personne reconnue par la communauté autochtone comme ayant acquis la sagesse par l’expérience de la vie et qui est devenu expert dans un domaine de la connaissance ou de la pratique”.
La spiritualité n’est pas la religion. En effet, si la religion est une institution, “la spiritualité implique un engagement direct et une connexion avec les mystères de la transcendance”. De ce fait, il est important, selon l’auteur, de retrouver la spiritualité ou bien l’esprit de la spiritualité. Il s’agit, dès lors, pour les humains, d’explorer les voies de la connaissance pour développer en eux la spiritualité. En outre, l’auteur estime qu’en ces temps forts du matérialisme et du développement personnel oppressif se présentant comme la meilleure voie, il est nécessaire de revenir à l’essentiel, c’est-à-dire à la dynamique spirituelle originelle.
En tant que moteur qui donne sens à la vie, “la spiritualité est considérée comme le fondement de tous les aspects de l’éducation”
L’humanité doit réaliser qu’il est nécessaire d’appliquer des principes spirituels à notre façon de vivre ici et maintenant. C’est un immense défi et on se demande si l’humanité est à la hauteur
Le premier chapitre de l’essai est consacré au parcours de l’auteur, son enfance, sa jeunesse, sa vie d’étudiant avec tous les engagements possibles pour faire rayonner sa culture. Il revient sur son expérience au pensionnat indien dirigé par les prêtres catholiques. Même s’il reste des souvenirs de jeu ou de rencontres formateurs, l’auteur souligne que dès cette période, il se pose déjà des questions existentielles liées au sens de la vie et à la marginalisation des enfants indiens
Je m’interrogeais sur le monde et son apparence ainsi que sur le sens de la vie. Je me demandais pourquoi nous, les enfants indiens, nous vivions dans des conditions qui ressemblaient à celles des prisons, confinés dans la cour d’école et soumis à une existence extrêmement contrôlée. (…). Ma mère, Lucy, nous rassurait mes frères, sœurs et moi, plaidant que le pensionnat était un bon endroit où je pouvais recevoir trois repas complets par jour, avoir une activité structurée ainsi que la possibilité d’apprendre et d’aller de l’avant dans le monde
Cet essai développe plusieurs questions, entre autres le racisme ou plutôt l’inculture de certaines personnes sur la culture indienne, des défis d’assimilation, car l’on ne peut pas accepter la différence. La tendance est plutôt pour l’assimilation. Toutes ces difficultés ont forgé l’avenir de l’auteur pour aller encore plus de l’avant et devenir, en quelque sorte, un passeur pour sa culture.
L’éthique de l’exemplarité
Dans la culture indienne, l’Aîné occupe une place essentielle. Il est le référent. Il incarne à la fois la sagesse et l’exemple. Il est reconnu Aîné parce qu’il inspire le respect à sa communauté. Les Aînés sont des personnes qui mènent une vie harmonieuse et équilibrée. Ils respectent les principes et ont une vie spirituelle ancrée. Ceci est essentiel pour comprendre pourquoi Blair Stonechild fait souvent référence aux Aînés dans son essai.
Plusieurs autres questions sont prises en compte, comme la réévaluation du passé que l’auteur juge nécessaire. L’auteur parle aussi de la grande Loi, la crise contemporaine, la mort. Toutefois, la plus grande question qui guide le livre tourne autour de la spiritualité. La spiritualité sert de fondement à toute vie sur terre.
Reconnaître et répondre à notre nature spirituelle, explique Blair, ne garantit pas seulement que l’existence humaine se poursuivra de manière plus digne sur Terre, mais que cela nous donnera aussi la sagesse et donc l’espoir qu’une fois notre cycle de vie terrestre terminé, nous passerons à une étape nouvelle, selon le Manitou
C’est la spiritualité qui donne du sens à la vie. Nous sommes des êtres spirituels par nature. La question n’est donc pas de savoir qui est spirituel et qui ne l’est pas, mais il s’agit de prendre en compte les valeurs et les principes qui construisent une spiritualité. Cette question est autant spirituelle que culturelle, donc humaine, car au cœur de toute spiritualité, il y a la vie humaine à respecter, parce qu’être dépossédé de sa spiritualité, c’est être dépossédé de son humanité. De ce fait, être spirituel devient un acte éthique qui prend en compte le respect des autres et le questionnement sur le sens à donner à la vie humaine. Revenir à la spiritualité aujourd’hui est plus qu’une urgence, c’est une exigence éthique
Je vous recommande de découvrir cet essai qui est riche de sagesses et de savoirs.
Pénélope Mavoungou