L’autrice guadeloupéenne Maryse Condé a tiré sa révérence ce 2 avril 2024, dans sa quatre-vingt-dixième année. Une figure majeure de la littérature francophone vient de nous quitter. En quarante-cinq années, elle a construit une œuvre foisonnante constituée de près d’une cinquantaine de récits, dont les classiques de la littérature afro : Ségou, Moi, Tituba sorcière… ou encore le très inspirant La vie sans fard, qui est l’histoire de la naissance d’une écrivaine racontée par elle-même. Traduite dans une quinzaine de langues, Maryse Condé est lue dans le monde entier et a obtenu de nombreux prix, dont le prix Nobel de littérature alternatif en 2018 pour l’ensemble de son œuvre.
Guadeloupéenne indépendantiste et féministe engagée, Maryse Condé est devenue une grande voix de la littérature française et mondiale en proposant à ses lecteurs un nouvel imaginaire et en produisant de puissantes figures romanesques aux réalités sociales jusqu’alors invisibilisées. Elle place également les univers africain et antillais au centre de ses récits. Ses œuvres nourrissent la mémoire de la traite négrière et du colonialisme et mettent en lumière les multiples identités noires.
J’ai choisi de vous parler de Desirada, un grand roman sur l’identité. Maryse Condé y met en scène des personnages complexes et réalistes. Marie-Noëlle, le personnage principal de ce livre, tente de percer le mystère de sa naissance pour résoudre la crise existentielle qu’elle traverse.
Abandonnée à la naissance, Marie-Noëlle vit ses premières années choyée par une mère adoptive en quête d’enfant, dans le cadre enchanteresque de la Désirade, une île de l’archipel guadeloupéen. Puis survient le déracinement à Savigny-sur-Orge, une cité de la banlieue parisienne, lorsque Reynalda, sa mère biologique, la fait venir auprès d’elle. Marie-Noëlle vit mal son retour auprès d’une mère distante et peu maternelle, qui agit envers elle plus par obligation que par amour. Malgré l’attention et l’affection de son beau-père, Marie-Noëlle ne parviendra jamais à trouver sa place dans cette famille, qu’elle finira par fuir pour s’exiler aux États-Unis. C’est sa quête identitaire qui la ramènera en France puis à la Désirade. Le lecteur, à l’instar de l’héroïne, est confronté à l’ambiguïté, au silence, aux demi-vérités, et lorsque la parole survient enfin, elle n’est pas du tout libératrice. Reynalda et Nina, la grand-mère de Marie-Noëlle, ont deux versions diamétralement opposées de ce qui s’est produit dans le passé. Laquelle de ces deux femmes livre la vraie histoire ? Comment surmonter le fait que la vérité reste inaccessible ?
Certains le vivront comme une véritable tragédie, mais n’est-ce pas plutôt une leçon de vie pour Marie-Noëlle et pour nous autres ? Ce qui lie ces trois femmes, c’est le chagrin et le désamour qu’elles ont chacune éprouvé envers leur mère. Marie-Noëlle, Reynalda et Nina appartiennent à trois générations de femmes marquées par de profonds traumatismes. On ne peut pas les juger selon une vision manichéenne, car chacune a fait ce qu’elle pouvait pour survivre et chacune détient sa vérité. Marie-Noëlle semble trouver la paix quand elle comprend que les événements qui ont abouti à sa naissance ne la définissent pas. Le message ici me semble être que nous devons tous nous libérer de nos hantises familiales et nous hâter de mieux vivre.
Ayaba