D’ici et d’ailleurs de Gabriel Osson : entre l’errance et l’enracinerrance, mots pour Haïti !

Je suis de la mouvance/fils de la lune et de la mer/je suis d’Afrique et d’Haïti, /je suis issu de l’errance/en des temps de transhumances inhumaines/ces temps où l’humanité de certains était questionnée/les ramenant au rang de bête/fils d’esclaves, né libre […] Je suis celui qui n’est pas d’ici et point d’ailleurs/je suis d’Afrique et de France, d’Haïti et du Canada/pris entre deux cultures qui ne semblent jamais/vouloir tout à fait de moi/le monde est ma patrie

Le monde est la patrie de Gabriel Osson. Romancier, poète et artiste-peintre, il est originaire d’Haïti et installé au Canada depuis une trentaine d’années. Son identité fait de lui une passerelle entre les cultures, les civilisations et les continents. Fruit d’un mélange culturel, Osson est un habitant de partout et de nulle part, un habitant du monde. Il est d’une patrie imaginaire (Rushdie Salman), une patrie sans frontières géographiques, une patrie sans limites à l’image du ciel qu’on voit au-dessus de nous. C’est la conséquence du chaos-monde dont parlait Edouard Glissant, un choc culturel qui donne lieu à des identités composites imprédictibles. Gabriel Osson n’est ni Haïtien, ni Français, ni Canadien, encore moins Africain. Il est un tout, une confluence de toutes ces différences culturelles. Plutôt que de s’en plaindre, il faut s’enorgueillir, c’est une richesse !  

Le dernier recueil de poèmes de Gabriel Osson, publié aux Éditions Terre d’Accueil en 2021, est un hymne à l’errance, un éloge du nomadisme (Hédi Bouraoui). Le poète y exprime les joies et les peines de sa vie loin de son Haïti natal. Sous le ciel de Montréal, il exprime ses rêves, ses « évasions nécessaires », ses « petits bonheurs », son plaisir d’être présent dans plusieurs pays à travers ses pensées et ses livres, loue le vivre-ensemble qui régit le monde et irradie son expérience erratique, entre autres. Il faut trouver du sourire ! Mais le poète demeure hanté par Haïti. Preuve que l’errance porte en elle un rêve irréalisable. Le rêve d’une Terre promise qui n’existe peut-être pas. Si l’on peut parfois retrouver la liberté, la paix et un certain équilibre matériel ailleurs, l’on peut également continuer à trainer le mal-être qui a motivé son départ :

Désirer un ailleurs/partir vers l’inconnu/s’habituer à cet étrange quotidien/vouloir tout quitter encore et repartir/sans arriver nulle part/Découvrir de nouveaux chemins/pour exorciser ce mal en moi/qui ne s’échappe jamais/fuir ici et le retrouver ailleurs/Ailleurs n’est pas mieux qu’ici/ici ou ailleurs qu’importe/ce que je fuis/réside partout où je suis 

Par ailleurs, D’ici et d’ailleurs est un terreau de nostalgies et de réminiscences. C’est l’expression d’une enracinerrance qui traduit l’attachement de l’auteur à son pays d’origine. L’enracinerrance, expression née sous la plume du Haïtien Jean-Claude Charles, définit l’attitude d’un errant qui reste très enraciné à son berceau terrestre, même après l’avoir quitté des décennies durant. Alors, Gabriel Osson est un « enracinerrant ». Bien qu’installé au Canada, il continue de vivre à Haïti à travers ses souvenirs et son imaginaire. La flamme de l’amour pour sa terre natale est restée allumée, malgré l’instabilité politique, les violences incessantes, l’insécurité grandissante et la paupérisation qui y ont fait leur nid. Dans son poème « Port-au-Prince », il écrit justement : « Je te retrouve ma beauté ma ville/je reviens flatter ton ventre/remonter dans tes entrailles/Tes humeurs me donnent la frousse/moi qui t’aime même/dans ce que tu as de plus laid […] ». Cet amour se matérialise dans le texte à travers l’usage du créole haïtien dans plusieurs passages : « Mètrès kay mwen », « Èzili mètrès kay mwen ».

Ce recueil de poèmes est donc une lettre d’amour à Haïti. Cette lettre célèbre la beauté que reflétait la terre haïtienne autrefois. Le poète parle de sa ville natale, Port-au-Prince, et de la Citadelle du Cap notamment ; deux espaces historiquement symboliques. Il rend également hommage à ceux qui sont mort pour le pays, l’ont bâti et lui ont permis d’accéder à son indépendance. Dans sa « Lettre aux ancêtres », il s’adresse de ce fait à certains héros nationaux haïtiens comme Alexandre Pétion, Jean-Jacques Dessalines et Henri Christophe : « […] Et toi Jean-Jacques te questionnes-tu parfois sur/l’indépendance toi fauché tout juste après plus de deux/cents ans pour arriver à quoi misère et désolation/Que dirais-tu Christophe visionnaire bâtisseur en voyant/ton Palais envahi par les ronces et ta Citadelle en ruines/qu’ont-ils fait de ta belle ville du Cap ? […] ». Mais la grande part des hommages est réservée à Toussaint Louverture, figure historique et incontournable de la révolution haïtienne ayant abouti à l’indépendance du pays, mais mort quelque temps avant sa proclamation : « […] Lorsqu’il a arraché l’arbre de la liberté/tes éclats de racines profondes ont repoussé/faisant quelques années plus tard/jaillir l’indépendance dont tu rêvais/ton cadeau posthume/inébranlable Toussaint pour l’éternité »

Cet amour est malheureusement difficile et fait souffrir le poète. Chagrin et désolation s’y invitent en permanence, à cause de l’anarchie qui sévit dans le pays. Ce pays, autrefois appelé la « perle des Antilles » à cause de son attraction touriste, de sa prospérité et de sa richesse, va aujourd’hui de chaos en chaos, au point d’être considéré comme une « terre maudite ». Il n’a cessé d’enterrer les morts à cause des crises politiques et des catastrophes naturelles. Plus de deux siècles après son indépendance, Haïti est toujours en quête d’une bonne organisation sociopolitique et d’une réelle autonomisation. Et la sanction-conséquence est sévère : il fait partie des pays les plus pauvres du continent américain. Pour tout cela, Haïti demeure un « chagrin d’amour »

   

 Je pleure pour toi Haïti/tes trésors dilapidés par des despotes sans scrupules/tes ressources pillées laissées nues à sécher/sous un soleil de plomb/pour tes enfants affamés d’espoir et sans futur/et ceux qui exilés ne sauront jamais/la douceur sans pareil de tes fruits/la luxuriance de tes fleurs/le parfum exotique de tes campagnes/Je pleure pour toi Haïti/d’une peine aussi profonde/que mon impuissance à te secourir

Toutefois, au-delà de toutes ces peines, D’ici et d’ailleurs est un chant d’espoir. L’espoir d’un changement positif et d’un avenir moins lugubre. « Haïti n’a pas dit son dernier mot/ Nous ne périrons pas », martèle le poète. Il est peut-être temps de sauver Haïti avec tout ce qu’il a de plus beau et de plus cher : ses habitants, sa culture et sa langue. De plus en plus, le pays se vide de ses habitants qui s’exilent avec ses traditions et sa langue, lesquelles disparaissent progressivement au contact des étrangers. Et c’est le cas « pour chaque enfant haïtien qu’on laisse crever/ chaque autochtone enlevé prisonnier d’un pensionnat/ Dans le silence/ les mots des griots disparaissent avec eux/ soufflés par le vent du désert/ se dérobent expirent au coin du feu/ L’écho tragique des mots morts/ des Grandes Plaintes à la savane/ emporte leurs traditions ancestrales/ ma langue en peine se perd avec eux ».

En fin de compte, il faut agir, « Pour ne pas laisser l’indécision ronger nos espoirs/agir en avant/en dépit de tout et de tous/agir pour ne pas crever inertes/sans avoir essayé ». Il est encore possible de sauver les murs. Que toutes les entités reconnaissent leurs parts de responsabilité, ou mieux encore de culpabilité, et se mettent ensemble pour reconstruire le pays. Pour cela, nul ne devrait ignorer son niveau de culpabilité. La police et l’armée sont coupables « de semer le chaos/le gouvernement de rester passif/devant la pauvreté et les crimes ». Les partis politiques sont coupables « de prendre seulement parti/pour accaparer le pouvoir sans le souci du peuple ». Le peuple lui-même est coupable « de rester impassible dans sa misère et/d’accepter le statu quo ». Même l’Église est coupable de ne pas agir et de poursuivre seulement ses intérêts. Nous également, étrangers et immigrants haïtiens, sommes coupables de « laisser mourir nos frères » : « J’accuse le doigt tourné vers moi/Condamne ! Condamnons ! /Agis ! Agissons ! »    

Boris Noah

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