Edem Awumey : écrire pour dire le monde dans sa diversité

Edem Awumey est un écrivain canadien d’origine togolaise. Il est né à Lomé, sur la côte ouest-africaine, le 11 juin 1975. Installé à Gatineau depuis 2005, après quelques années passées en France, Edem Awumey a remporté le Grand Prix Littéraire d’Afrique Noire en 2006, pour son premier roman Port-Mélo. Sa deuxième publication, Les Pieds sales, a également été dans la sélection du Prix Goncourt en 2009 et son roman Mina parmi les ombres a été finaliste du Prix littéraire du Gouverneur général en 2019. Son écriture est marquée par les thèmes de l’immigration, l’identité, la mémoire, la justice et la liberté entre autres. Titulaire d’un doctorat sur la littérature de l’exil, Edem Awumey a enseigné la littérature francophone à l’Université McGill et à l’Université du Québec en Outaouais.

Le chemin vers l’écriture

Edem Awumey est à peine adolescent lorsqu’il commence à sentir le besoin d’écrire. Nous sommes au début des années 1990 lorsque les rues togolaises se remplissent de manifestants revendiquant de meilleures conditions de vie, et demandant plus de respect des règles démocratiques. Il assiste, impuissant, à la violente répression que subissent ces manifestants et prend conscience pour la première fois de l’injustice ainsi que de l’entrave de la liberté dans nos sociétés. Sa prise de conscience l’amène à noter tout ce qu’il trouve répugnant autour de lui. À partir de là, il commence à écrire ses premiers textes et se passionne un peu plus pour la littérature.

Edem Awumey obtient le baccalauréat et ses premiers diplômes universitaires au Togo. Parce que ne se voyant pas faire autre chose que la littérature, il choisit de faire des études littéraires à l’Université de Lomé dès 1995. Il suit ces études jusqu’à son départ de son pays natal, en 2000, année où il obtient une bourse d’écriture de l’UNESCO. Cette bourse lui donne l’opportunité d’aller à Marnay-sur-Seine, en France, pour une résidence d’écriture. Pendant cette résidence d’écriture, son rêve d’écrire et d’être publié prend corps. Il écrit ses premières nouvelles, lesquelles seront publiées avec l’appui de l’UNESCO.  

La bourse UNESCO-Aschberg, qui lui permet pour la première fois de sortir de son pays, lui offrait juste un séjour de quelques mois. Mais Edem Awumey, soucieux de continuer ses études, décide de prolonger son séjour et passera finalement cinq ans en terre française. Il s’inscrit donc à l’Université de Cergy-Pontoise, en France, où il obtiendra des diplômes en langues et littérature, et en développement culturel. Et en 2005, dans la même université, il soutiendra une thèse de doctorat sur le thème : « Tierno Monénembo : écriture de l’exil et architecture du moi », sous la direction de Bernard Mouralis.  

« Écrivain de la route »

De l’Afrique vers l’Europe et de l’Europe vers l’Amérique, Edem Awumey a beaucoup voyagé et ces voyages ont fortement enrichi son écriture. En réalisant son rêve d’adolescent de découvrir l’Ailleurs, il a fait de multiples rencontres inspirantes et a gagné en expérience. Son œuvre est le reflet de tout cela, c’est ainsi qu’il se définit comme un « écrivain de route » : « Oui, je suis quelque part un écrivain de la route. Écrivain de la route à la fois réelle et rêvée, imaginaire quoi. Car au départ la route fut rêvée. Dans les années 90, la précarité était — et reste encore — la hantise de tout jeune Africain. Donc moi et mes copains, après le bac et les premiers diplômes à l’université, on voulait aller voir ailleurs, on cherchait le bonheur, la liberté. Le bonheur économique, c’est un objectif quand tu viens d’une famille bien modeste. La route rêvée vient de là, de ces chemins d’Europe ou d’Amérique. Elle est tracée par l’histoire. »[1]

Après son doctorat, Edem Awumey s’installe au Canada. Son premier roman écrit durant ses années françaises paraît en janvier 2006 aux Éditions Gallimard. Ce roman, Port-Mélo, vivement salué par la critique dès sa sortie, est couronné Grand Prix de Littérature d’Afrique Noire la même année. Mais c’est son deuxième livre, Les Pieds sales (Boréal et Seuil, 2009), qui, selon lui, lui a donné plus de visibilité. Le livre a été sélectionné pour le Prix Goncourt 2009. Cette nomination a précédé une longue période de sollicitations médiatiques, avec des interviews et des rencontres. « Par la suite, j’ai pu faire le Tour de France des écrivains grâce à cette nomination. Ce qui m’a donné l’occasion de côtoyer d’autres écrivains et de rencontrer un public très varié. Ce roman, Le Pieds sales, m’a octroyé une certaine visibilité »[2], dit-il.

Sa troisième publication intitulée Rose déluge arrive en 2012. Coédité par les Éditions Boréal et Seuil, ce roman reçoit la mention spéciale du Prix Jacques-Poirier 2012. La traduction anglaise, Descent into night, de Explication de la nuit (Boréal, 2013) a été récompensée en 2018 par le Prix littéraire du Gouverneur général, au Canada. Et l’année d’après, en 2019, sa fiction Mina parmi les ombres (Boréal, 2018) sera finaliste du même prix pour la catégorie romans et nouvelles. Noces de coton est son dernier roman paru en 2022, chez Boréal.

Au-delà des frontières

L’œuvre littéraire d’Edem Awumey se construit au-delà des frontières géographiques. Elle ne se réduit pas exclusivement à un espace et s’irrigue de fait de l’idée de transnationalisme. Tout part des espaces d’écriture de l’auteur pour aboutir à l’environnement intérieur de ses œuvres. Le romancier d’origine togolaise a écrit ses livres dans divers espaces. Et, quel que soit le lieu choisi pour l’écriture, il fait référence à plusieurs autres pays, à plusieurs autres continents. C’est pourquoi le romancier écrit par exemple sur l’Afrique ou l’Amérique du Sud depuis son Gatineau d’adoption. C’est ainsi que ses livres traduits en anglais, en espagnol, en allemand et en italien notamment, lui permettent non seulement d’être présent, mais aussi d’être lu ici et ailleurs.     

Il faut dire par ailleurs que les personnages d’Edem Awumey sont généralement en mouvement. Ses protagonistes passent d’un espace à un autre pendant leur vie romanesque, avec des motivations qu’on ne saurait imputer au seul contexte africain. Cela implique un questionnement du rapport entre le Moi et l’Autre, un rapport qui est à l’origine de nouvelles tendances idéologiques et civilisationnelles. Lesquelles sous-tendent l’ère contemporaine marquée par la diversité. Et bien plus, les thèmes qu’il aborde sont essentiellement universels. C’est cet universalisme que son ami et mentor, Tahar Ben Jelloun, saluait dans son roman Les Pieds sales.

Par conséquent, tout cela confère vers une vision portée sur le partage et l’ouverture sur le monde qui éloigne du nombrilisme multiforme, synonyme d’appauvrissement de l’Homme. Il n’est pas question de nier sa singularité, ses valeurs culturelles foncières, ou alors de s’y réduire. Mais, de s’ouvrir à l’Autre afin de se recréer et se reconstruire en permanence : « L’idée qu’il faut être des hommes neufs m’a toujours préoccupé. Ce qui était dès le départ intéressant pour moi, ce n’était pas d’interroger l’homme africain, l’homme européen, l’homme qui est parti et qui revient de temps en temps, l’homme dans sa transculturalité… Non, honnêtement c’est l’homme neuf. Celui dont parle Fanon […] il nous faut dépasser notre condition étroite, nos limites premières. Les limites à la fois de la culture, de la géographie, des préjugés. Les limites d’une histoire qui nous emprisonne. C’est donc de nous recréer au-delà justement de la question piège de la nation »[3], précise Edem Awumey.

Boris Noah


[1] Diouf, M. (2015). Les territoires de l’écriture : dialogue avec Ken Bugul et Edem Awumey. Études littéraires, 46 (1), 119–133. https://doi.org/10.7202/1035088ar

[2] https://www.toukimontreal.com/2021/01/11/entrevue-sur-la-route-de-lexil-et-de-la-liberte-avec-lauteur-edem-awumey/

[3] Diouf, M. (2015). Les territoires de l’écriture : dialogue avec Ken Bugul et Edem Awumey. Études littéraires, 46 (1), 119–133. https://doi.org/10.7202/1035088ar

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