Des personnages singuliers
Tamaya : originaire des Comores, elle est l’aînée d’une famille aisée. Elle tient à faire honneur à ses parents et être exemplaire aux yeux de ses frères et sœurs. Tout naturellement donc, après avoir terminé ses études et décroché un emploi, elle songe à la prochaine case à cocher : le mariage.
Y a-t-il meilleur parti qu’Ahmed, Comorien, issu d’une famille aussi réputée que la sienne ? Assurément, non. Leurs parents respectifs étant enchantés par cette union, le mariage est préparé et célébré en grande pompe. Mais dès la nuit de noces, la mariée déchante parce que Ahmed n’est pas celui qu’elle croit et ne s’en cache pas.
Dans l’espoir d’avoir du soutien, elle parle aux siens de la trahison d’Ahmed, mais tous ceux à qui elle se confie lui intiment de se taire et ne pas faire de vagues. Car, « Ahmed est un homme, il a le droit de se comporter de la sorte ». Quels choix lui restent-ils alors ? Accepter la double vie de son mari ou refuser et se mettre tout le monde à dos ?
Rozenn : issue d’une famille française classique, elle a quitté Paris pour s’installer à Nantes auprès de sa sœur et de ses neveux après le décès de leurs parents. Très proche de sa sœur, elle vit mal le fait que cette dernière s’investisse autant pour sauver son mariage avec un homme qui ne la mérite manifestement pas.
D’ailleurs, l’idée même de s’engager pour la vie et de se marier la répugne. Elle met un point d’honneur à ne s’attacher à personne d’autre qu’à sa famille, et ne rien promettre à qui que ce soit. Séductrice invétérée, elle prend plaisir à papillonner, persuadée que chaque fois qu’on aime et qu’on le montre, on finit par être abandonné, une fois de plus.
Jade : elle a toujours vécu à La Réunion. Une vie de rêve pour cette magnifique jeune femme habituée des sorties mondaines où elle brille de mille feux, suscitant la convoitise des hommes et la jalousie des femmes. Jeune maman séparée, elle s’installe à Nantes avec sa fille et tâche d’y trouver du travail. Mais ce n’est pas chose aisée, car elle a interrompu ses études assez tôt et a très peu confiance en elle. Heureusement, son frère Loïc est là pour l’aider.
Une écriture fluide au service d’une riche thématique
À mon sens, le premier exploit de Noucia Adams est celui de maintenir le lecteur en haleine tout au long de ces 400 pages, tant l’écriture est fluide et agréable. Elle campe si bien les personnages que l’on finit par avoir l’impression de les connaitre. Ils parviennent néanmoins à nous surprendre, car au travers des différentes péripéties, on perçoit la réelle complexité de chacun d’eux. Cela nous permet de réaliser la finesse du travail d’analyse psychologique qui a accompagné leur création : ce sont des êtres non manichéens auxquels on peut donc s’attacher, voire s’identifier, car on les comprend.
L’autre force de ce roman réside dans la profondeur des thèmes abordés, et les messages que l’autrice laisse à tout un chacun le soin de percevoir. Des Comores à La Réunion, en passant par Nantes, Paris et la Bretagne, elle nous invite à nous interroger sur la place de la famille, la notion de bonheur individuel opposée à celle du bonheur collectif, le patriarcat, le mariage, la fidélité et la spiritualité entre autres.
Si les thèmes abordés peuvent être durs, ils le sont toujours avec bienveillance et invitent le lecteur à s’interroger tout au long du roman, et à évoluer parfois au même rythme que les personnages. C’est ainsi que l’on se surprend à « comprendre » Ahmed qui ne fait que reproduire ce qu’il voit faire autour de lui, ou encore Nadège qui souhaite que sa fille ne subisse pas ce qu’elle a elle-même vécu. On réalise donc avec compassion que, dans la vie comme dans les livres, les choses sont rarement aussi simples qu’elles en ont l’air.
L’amour et les relations familiales y occupent une place de choix, notamment quant à la manière de les témoigner : « Peut-être que nous ne témoignons notre amour que lorsque ça devient urgent, quand le destin nous rappelle que nous ne sommes pas éternels ? Nous témoignons donc notre amour égoïstement, car nous avons surtout peur de ne plus avoir l’occasion de le faire. L’amour n’est-il finalement que tourné vers soi ? » (p.117)
Cependant, s’il ne fallait retenir qu’un mot de ce roman lumineux, ce serait « Espoir ». L’espoir qui accompagne chacun des protagonistes tout au long du livre. L’espoir d’un lendemain meilleur, l’espoir de voir les circonstances changer, l’espoir de pouvoir concilier volonté personnelle et coutumes familiales, l’espoir d’être aimé et accepté par les siens pour ce que l’on est, l’espoir de se trouver soi-même.
À travers ce livre, Noucia Adams a su concilier amitié, romance, thriller et spiritualité autour de la quête de soi. Je ne peux que vous le recommander en espérant qu’il vous parlera autant qu’à moi.
Erna Ekessi