La sorcellerie est la particularité des gens de Koba, et l’on peut penser que tout le monde ou presque y croit. Ce roman qui se déroule dans un pays imaginaire, le « Balanga », met en avant le visage d’Almega, un jeune intellectuel africain féru de sciences et respectueux des traditions. Almega est passionné par la nature humaine et par la nature en général. Il porte un idéal : préserver l’équilibre du monde en respectant toutes les dimensions inhérentes à l’humain. De retour dans son village, à Koba, après la mort de sa mère, il est amené à participer à une séance d’initiation (à Mengana), il y découvre l’Énergétique[1] et décide dès lors de soigner et de contrôler la sorcellerie.
Nyamoro ordonna à Almega de s’allonger sur le lit de bambou. Le jeune homme s’exécuta, saisi d’une peur rétrospective ; après une brève hésitation, il reprit courage et se décida à poursuivre l’aventure. Le devin s’installa sur un banc, au niveau de la tête du jeune étudiant, et l’assistant prit place à ses pieds.
Après son roman Les Supplices de la chair — drame érotique et récit portant sur des faits sociaux —, Caroline Meva manifeste ici une disposition très originale, évidente et sensible, profonde et universelle, de se lancer dans une littérature qui accorde une place essentielle à l’éthique, à l’environnement et aux traditions. Pour, en fin de compte, présenter un roman fantastique, mais réaliste et révélateur. Pour l’écrivaine camerounaise, il ne s’agit pas d’encenser la sorcellerie, mais d’en parler puisque c’est un phénomène qui reste ancré dans nos sociétés et dont les conséquences sont funestes. Alors, loin de l’apologie de la sorcellerie, ce livre s’apparente à un souvenir d’un village qui, sous l’influence des esprits, contribue à maintenir le mystère et l’idéal mystique. C’est peu dire, donc, qu’au-delà de quelques faits vécus et peut-être entendus, Caroline Meva a mené des recherches autorisées pour nous offrir La Science des sorciers des Koba.
Dans ce roman, le lecteur retrouve naturellement un Almega porté par un sentiment d’attachement à l’origine, à la culture et à la nature. Éthicien lorsqu’il évoque le monde mystique, scientifique lorsqu’il évoque la science, et environnementaliste lorsqu’il évoque l’environnement. Il est sensible à tout ce qui vit et respire. Ce qui souligne un peu plus la volonté de Caroline Meva de dire le monde, de dénoncer ce qui ne construit pas. On la voit, par exemple, évoquer la grande corruption qui nous étreint lorsqu’on arrive à l’aéroport du Balanga ; ou encore le non-respect de l’environnement voire l’obscurité omniprésente, les inégalités sociales.
Ce livre, par rapport aux premières publications, dévoile un autre visage de Caroline Meva. Sans doute, cela tient au cadre même de cette histoire qui, en l’obligeant à une certaine conscience présente et tangible, à une certaine liberté géographique et une vérité culturelle, la conduit à graver autrement son écriture, toujours directe, mais plus pénétrable aux particularités d’une situation, aux impératifs de l’action politique, aux nécessités absolues de changement. C’est comme si elle avait décidé de rester dans son roman, de mettre en avant sa grande culture et de dénoncer la dépravation des mœurs ainsi que les traditions destructrices.
En rentrant du Balanga après les obsèques de sa mère Na Mongo, Almega s’était mis au travail. Il avait orienté les travaux de sa thèse sur la sorcellerie, vue sous l’angle de l’Énergétique. Il s’était donné pour but d’analyser scientifiquement, de démystifier et de combattre objectivement la sorcellerie, ce phénomène morbide d’asservissement mental qui faisait des ravages en Afrique, particulièrement au Balanga, son pays natal.
Tandis que son père, cartésien et fervent croyant, croit que le diable existe ; Almega, en tant qu’homme de sciences, croit-il à la sorcellerie ? La réponse se trouve au fil des pages de ce roman de Caroline Meva dont le titre nous met déjà la puce à l’oreille. Celle de la lutte ; la culture contre la culture ; la science contre la sorcellerie, les traditions contre la modernité. Il est question de deux mondes que le parcours d’Almega nous fait découvrir. Mais c’est aussi la lutte de deux modalités de l’esprit humain : la raison et la croyance, dont l’accommodement des deux est, peu ou prou, le rêve de certains scientifiques ou de certains surnaturalistes. C’est l’une des principales missions que se donne Almega.
[1] « L’Énergétique se présente ainsi comme la science par excellence qui permet de réaliser le projet ultime de l’unification et de l’harmonisation des dualités fondamentales que sont l’onde et la particule, l’esprit et la matière, l’âme et le corps, la physique et la métaphysique. »