Dans nos angles sonores, l’auteur questionne la question de l’altérité (Je-Tu-Nous), réalité qui s’incarne au quotidien de chaque humain. Les poèmes interrogent la relation entre le je et l’autre. Ils mettent en lumière la capacité des corps, des voix et des silences à s’édifier au cœur d’un lieu intime, marqué par l’affectivité et la vulnérabilité. Marc Lavoie réussit l’exploit de faire du banal une matière poétique, et de rendre l’invisible tangible, palpable, à travers la traversée des émotions vers des instants moins complexes, où chaque angle des perceptions humaines se croise et se redéfinit.
Cinq mouvements forment l’ossature du recueil. Chacun propose une réflexion sur les interactions humaines, le temps, et l’espace du corps en quête de résonance et d’appartenance.
il y a le singulier
dans tes yeux,
la pathologie d’une confiance rêche.
nuptiale apparition des sensdans la perversion des heures,j’accorde à la portée que tracela courbe de ton dos mes peurs.
à l’envers de tes silences,
herbe folle,
je m’accroche à ce que tes doigts taisent.
Dans ces vers, l’auteur exprime une altérité marquée par le silence. Le locuteur est fasciné par l’autre et cherche à saisir des émotions à travers le corps et les gestes. On y retrouve un conflit entre sensualité et peur, entre présence physique et silence. Le corps de l’autre devient ici, de manière ambivalente, une source à la fois de désir et d’anxiété, tandis que le temps et les silences déforment et compliquent la relation.
hier, j’ai vu les heures
défaire les secondes
et tendre des pièges à ton ombre.
élan rêveur d’arbres mitoyens,
ta salive enrobée d’étreintes
inculpe où mon dos cesse
l’anonymat de mes désirs.
Entre abstraction et sensualité, ce poème met en avant des images poétiques qui expriment des sentiments d’une grande complexité. Les tensions entre le temps, l’intimité et la révélation des désirs sont omniprésentes. Le temps semble trompeur, tandis que le corps et l’intensité des sensations enveloppent l’ensemble du poème : « salive enrobée d’étreintes ». Ces notions évoquent une intimité charnelle et fusionnelle. Il y a aussi une dynamique où l’anonymat des désirs est abandonné, possiblement à travers le contact et la vulnérabilité, mais aussi avec en toile de fond une certaine inquiétude ou un conflit intérieur.
marée n’en finissant plus d’ajourner,
comme si, de corps, j’entendais
ne plus tenir qu’un sol inconnu,
je suis désormais ta sueur,
une tache qui te colle au pied.
mon iris,pour baver mes possibles,expose à nu mes chancesd’incuber sa chaleur.et mes yeux,remisés par le marc de café, mentent.
grasses, les heures peuvent s’étendre
au fond des pores.
je ne ferai qu’attendre
le recouvrement de mon absence.
Usant d’autant d’inventivité que de lyrisme réaliste, Marc Lavoie offre son intuition au monde et invite ses lecteurs à méditer sur l’existence. Il exprime un sentiment d’aliénation, de perte de soi et de désillusion. L’évanescence du temps est omniprésente, et les images corporelles, récurrentes, témoignent d’une relation complexe entre le locuteur et son propre corps, ainsi qu’entre le locuteur et l’autre. La sueur, les taches et le contact physique prennent des connotations à la fois intimes et inconfortables. Le temps, lui, apparaît ici comme une force oppressive : « les heures grasses » qui s’étendent dans les pores soulignent une attente inerte, voire douloureuse. Par une langue poétique, souple et saisissante, Marc Lavoie nous invite à naviguer entre le temps, la corporéité, le désir et l’intimité. nos angles sonores est une ouverture sur l’existence et sur l’être.
Heidi Provencher